31/08/2020

LES AUTRES AMÉRICAINS de Laila Lalami

Ce qui frappe d'emblée avec le livre Les autres américains de Laila Lalami c'est la maîtrise des différentes techniques littéraires utilisées (normal, me direz-vous, pour une professeure de ce que les américains appellent "creative writing") : brio du roman choral où chaque personnage s'exprime à tour de rôle, souvent par effet de miroir, l'intrigue avançant patiemment au rythme de ces va-et-vient ; jeu sur la chronologie des événements, développé dans un léger glissement de la temporalité, comme sans crier gare, avant un soudain retour à la réalité du présent ; volonté de laisser dans l'ombre des pans entiers de la vie des personnages, de ne pas tout dévoiler de leur passé ou de leurs aspirations, de ne pas tout expliquer des situations, afin de laisser au lecteur le soin de déployer son imagination ou de faire résonner en lui l'écho de ses propres expériences. 

Des trucs, pourrait-on dire, mais de bons trucs quand ils sont réussis et qu'ils font sens rapport à l'histoire qui est racontée et développée. Soit ici la mort à un certain âge d'un restaurateur d'origine marocaine, marié et père de deux filles, renversé alors qu'il sortait de son "diner" par une voiture, son conducteur étant coupable d'un délit de fuite. L'occasion de revenir sur une destinée ; pour sa cadette de revenir sur les lieux où elle a grandi ; pour la personne chargée de l'enquête de revenir aux affaires. Bien que la résolution de cette dernière soit secondaire par rapport au cœur de ce que dit ce roman, un peu comme dans le Funky guns de Pelecanos : ce qui est raconté c'est ce que révèle, ce que fait cette mort à ceux qui restent. 

Parmi les autres "trucs" employés, il y a ces thèmes tant de fois développés dans les livres, les films ou les séries américaines : les difficultés de réinsertion des jeunes vétérans de guerre, le traumatisme des années collège/lycée, la petite ville dont on souhaite s'extirper, les familles dysfonctionnelles, les tromperies au sein des couples, le racisme ordinaire. Malgré tous ces topoï déjà maintes fois développés par d'autres, qu'est-ce qui fait qu'une fois encore l'intérêt et l'émotion sont tout de même au rendez-vous ? C'est que les auteurs américains qui s'intéressent à autre chose qu'aux super héros, qu'aux avocats de New York ou Los Angeles, ne font pas de leurs personnages des caricatures mais bien des êtres complexes, au destin contrarié et dont on respecte l'ambition, à leur échelle. Les lieux où se situe l'action ne sont pas un décor mais sont un élément essentiel de l'histoire et de la psychologie des protagonistes. Les liens entre les personnages sont mouvants, instables, avec ce souci constant d'aller vers plus de sincérité, de s'améliorer. Tout cela donne de l'épaisseur au roman, fait que l'on s'intéresse aux enjeux qu'y développe l'auteur, qu'on s'attache aux personnages et que leurs péripéties nous étreignent si souvent le cœur. 

Il n'y a finalement que de la "punchline" dont Laila Lalami n'abuse pas, même si elle nous prouve à une occasion qu'elle maîtrise aussi cet exercice de la phrase qui fait citation : "On sait qu'un type est vraiment paumé quand il se met à boire un truc dont il ne sait même pas épeler le nom." 
Bref : même en ne dévoilant que très peu l'intrigue, sachez qu'il s'agit d'une excellente histoire, contée avec un vrai savoir-faire au service d'une émotion sincère.
 
Signé : Lolqat 


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