SANS LUI de Sophie Calle

Génie ! Mais quelle génie cette Sophie Calle. J'ai toujours suivi l'œuvre de Sophie Calle.

Des Dormeurs aux Aveugles, en passant par l’ happening de la tour Eiffel, en faisant un détour par prenez soin de vous. Oh, bien sûr, je ne suis pas une experte, je n'ai pas même vu toute l’œuvre de Sophie Calle. Je ne suis une experte de rien, cela ne vous aura pas échappé. 

Mais j'aime Sophie Calle et ses travaux. Son univers qui déjoue en permanence les codes et rejoue tout ce que la vie peut nous mettre en travers de la route, entre le cœur et les épidermes. Sophie Calle s'amuse avec les images, se moque et sublime nos travers, nous aide à supporter nos humanités. Elle jongle avec les images, les mots, la vidéo. Elle sait s'entourer. Elle est là. Elle transforme et touche.

Sans lui est un livre qu'elle a fabriqué pour son ami disparu, Xavier Barral, éditeur. Pour "transformer" cette perte, pour la porter à sa façon et nous l'offrir à nous ce livre d'artiste. Ce livre est un projet qui leur appartenait à Xavier Barral et elle. Xavier disparait, Sophie mène le projet à son terme et avec quel brio ! 

L'idée (géniale !) était de réunir dans le même ouvrage des petites annonces de rencontres, qu'elles soient écrites et déposées par des hommes ou par des femmes. Et ce sur une période allant de 1895 (apparition des annonces de rencontres dans la revue Le chasseur français) à 2019 et son lot d'annonces 2.0 déposées sur Tinder.

Une partie du livre s'intitule donc Elles et l'autre Eux. La première est imprimée sur papier vert, la seconde sur papier rose (Merci madame Calle de ne nous avoir pas "encore" attribué le rose papier toilette)

Les annonces ont été sélectionnées avec soin, pour leur représentativité d'une époque, pour leur caractère drôle, pour leur dimension très féminine ou très masculine, pour leurs dimensions genrées inversées aussi ! Et c'est un florilège qui fait passer des rires aux presque larmes, en tous cas au vertige. Livre d'artiste, mise en page géniale, planche de décalcomanies pour "décorer" à l'envie le livre, quelques images sur papier glacé. Je n'en finis pas de le prendre et le reprendre, de piocher aux hasard, de l'explorer en trouvant en permanence un détail qui m'avait échappé !

Après avoir présenté avec beaucoup d'énergie à mes amies cette merveille de livre, une idée est née ! Comme nous vivons une période où le temps est une nouvelle expérience, un rituel est apparu ! 

Désormais tous les matins, je leur lis une annonce pour entamer nos journées. Je m'enregistre sur la plateforme qui nous permet d'échanger en groupe, et je termine la lecture par une petite analyse… Et force est de constater qu'au bout de quelques jours, je ne choisissais déjà plus les annonces au hasard mais bel et bien pour nous amuser, nous interroger, nous montrer à quel point les choses ont changé, d'autres sont toujours autant des dialogues de sourds ou des attentes vouées à l'échec ! Ou encore comment une madame de 1895 aurait rendue heureux un monsieur de 2017. Si seulement…. 

On rit beaucoup, on s'énerve parfois du sort réservé aux femmes, on s'interroge encore et toujours sur cette bestiole nommée "monsieur" et on apprend pleins de choses (par exemple : quand dans une annonce de 1895 un homme évoque "la tâche" d'une femme, il fait en fait allusion à sa virginité) et la journée peut alors commencer. Un truc à vous donner presque envie de pas se remettre à courir de sitôt.

Je dépose ici deux annonces, pas choisies au hasard histoire de donner un aperçu de nos matinées ici-bas. 

Annonce déposée par une femme entre 1960 et 1970 : 

"Maman grande, élégante, de brunette de 29 ans équilibrée, seule héritière fortune, cherche à son insu gendre élancé, esprit libre, position forte." 

(là par exemple, on prend conscience qu'à cette époque l'annonce devait être payante au mot ! L'ancêtre en somme du 140 caractères, enfin, bon, on ne prend pas conscience que de cela notez bien...)

Annonce déposée par un homme sur la même période : 

"Garçon boucher, 27 ans, désire connaitre personne ayant boucherie vue mariage. Mince s'abstenir" (no coment)

Coup de génie. 

Ps : Un vieux travers me chatouillant, comme dans feu Rock'n Pages, je déposerai désormais un titre à déguster (en toute subjectivité) avec cette lecture 

 

 

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