En 2016, il nous avait soufflé par son assurance à nous planter au cœur d'une ville, d'un quartier et d'un monde peuplé de gens aussi vrais que s'ils prenaient un verre là, juste à côté de nous. William Boyle mettait tout le monde d'accord avec Gravesend, son premier roman, que ce fin limier de François Guérif avait choisi pour être le millième volume de sa collection Rivages/Noir. Depuis, le grand manitou du polar et du roman noir de l'édition française a filé en semi-retraite chez Gallmeister, emmenant son jeune auteur avec lui.
L'an dernier, Tout est brisé nous avait encore soufflé. Une écriture simple, des personnages aussi vrais que s'ils faisaient partie de notre propre famille, et un refus total du spectaculaire à tout prix qui fait de William Boyle un spécimen rare. Il faut croire que l'écrivain n'a pas d'autre sujet que ça: son quartier, le New York des quartiers populos, ses clochards, ses ivrognes, ses âmes perdues. Il y a des détails qui ne trompent pas: le héros de Tout est brisé était un jeune homo qui revenait à Gravesend après une suite d'échecs sentimentaux qui l'avaient laissé sur le carreau, Amy, l'héroïne du Témoin solitaire sort d'une rupture amoureuse compliquée et tente de se raccrocher à certaines valeurs: elle a renoncé aux soirées alcoolisées avec ses copines et se voue corps et âme à assister certaines vieilles personnes seules pour le compte de la paroisse. Des vieilles dames d'origine italienne, attachées à certaines valeurs désuètes et qui ne reconnaissent plus rien du monde au dehors et ne sortent plus de chez elles L'une d'elles a un fils, Vincent, la dernière chose qui lui reste. Un type louche qu'Amy va voir mourir en pleine rue, tué à coup de couteau.
La seule différence entre ce roman et le précédent, c'est qu'il y a mort d'homme et à peine une enquête. On sent bien que le motif crapuleux intéresse peu William Boyle. Pour preuve, Amy réagit d'une drôle de manière: elle cache l'arme du crime, ne dit rien à personne, attendant sans doute que quelque chose la bouscule et se déclenche dans sa petite vie étriquée.
Boyle n'a pas peur des sentiments, il confronte Amy à tout ce qui peut la remuer: le retour d'un père absent qui tente de se rapprocher d'elle, l'arrivée d'Alessandra en ville, son grand amour. Boyle sait frôler le mélodrame sans jamais y sombrer, parce qu'il n'a jamais peur des sentiments. Qu'il est bon, quand même, d'avoir mis la main sur un écrivain new-yorkais dépourvu de tout cynisme ! (Ah mais oui, c'est vrai, on n'est pas à Manhattan, Franzen et McInerney habitent de l'autre côté du fleuve...)
Ce qui n'empêche pas le roman d'être rapide, emporté et de savoir installer un vrai suspense. On se surprend même à penser, lors des confrontations les plus "chaudes" entre Amy et Dom, l'assassin de Vincent, des situations de dialogues à double tranchant d'une sacrée virtuosité qui font beaucoup penser aux meilleurs moments de certains romans d'un autre new-yorkais pur jus, Jason Starr, plus porté, lui, sur un cynisme rigolard (mais tendu) très inspiré par Donald Westlake. Si les personnages de Starr s'évertuent à toujours faire les mauvais choix dans la panique générale, sous le poids aussi d'un manque de veine insensé, ceux de William Boyle cherchent toujours ceux qui feront le moins de dégâts, pour eux-même comme pour les autres. C'est pourquoi le personnage de Dom, que l'on comprend de mieux en mieux au fil de l'histoire comment étant une autre victime du fiasco général malgré son profil d'assassin à moitié cinglé, est une vraie réussite. Non pas taillé d'un seul bloc, ni hermétique aux autres ni simplement porté à l'auto-destruction, il se débat avec ses propres armes, son sale tempérament. Comme les autres, il aura fait ce qu'il a pu.
Au final, on tombe dans les notes de remerciements, à la fin du bouquin, sur ce truc qui a caressé mon petit orgueil perso dans le sens du cœur: je le savais, je le sentais que ces deux-là ne pouvaient pas être étrangers l'un et l'autre, moi qui n'arrête pas de penser à lui quand je lis les romans de William Boyle, et vice-versa: Willy Vlautin figure dans les credits, je le savais, je le sentais. Ces deux écrivains, au-delà d'autres connections probables (Vlautin est le leader d'un groupe de folk-rock, Boyle a été disquaire spécialisé en rock indé), possèdent ce "truc" qui n'appartient qu'à eux: privilégier leurs personnages aux figures de style, se contenter du réel en sacrifiant le spectaculaire, Boyle dans un contexte urbain, Vlautin en style country.
Tant que des auteurs comme eux existent, il ne faudra pas encore désespérer complètement du grand rêve américain.
Signé: RongeMaille
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