MORT AUX RATS ! est une émission radiophonique que diffuse en exclusivité Divergence FM depuis le 1er octobre. Parti d'un pari un peu dingue conclu avec Bruno Bertrand, directeur d'antenne de la radio
("-Tiens, j'écrirais bien des petites fictions pour la radio..."
"-Oh ben oui, une par jour, ce serait super !")
ces "boulettes empoisonnées" comme elles se sont baptisées un peu d'elles-mêmes sont diffusées à raison de cinq par semaines, avec trois diffusions quotidiennes.
Imaginées, au départ, sur le modèle des Microfictions de Régis Jauffret, autant en terme de longueur que de mauvais goût assumé, les boulettes de Mort Aux Rats ! ne sont pas toutes dotées de l'affreux mauvais esprit de l'auteur d'Histoire d'amour et de Clémence Picot. Je ne sais pas comment fait cet homme, pour qui j'éprouve d'ailleurs une admiration littéraire indéfectible, mais je ne suis pas du tout capable de pondre A CHAQUE FOIS une horreur qui dépasse les limites de l'admissible comme lui seul sait si bien le faire. La première boulette s'appelait Kim cônes glacés, j'avais en effet choisi pour chroniquer Microfictions 2018 de Jauffret lors de l'émission du Petit Bazar de janvier dernier, toujours sur Divergence, non pas de parler du livre, mais de faire une microfiction "à la manière de".
Aussi certaines boulettes sont assez horribles, c'est vrai, d'autres un peu moins, il y en a des plutôt drôles, aussi... Certaines sont des clins d’œil, des hommages, des petites histoires horrifiques, et il y en a certaines, comme Kaddish pour un trophée qui ne se rangent nulle part. Celle-ci vaut autant le coup d'être écoutée avec l'habillage sonore concocté par mon comparse Ludo (une technicien du son du tonnerre, mes enfants) que d'être lue, à mon avis. On va essayer, comme ça pour voir...
Kaddish
pour un trophée.
Le
cimetière est à visiter surtout en hiver ou à la fin de l'automne
lorsque le froid semble tout rendre silencieux et qu'il s'évapore en
volutes invisibles entre les pierres mousseuses et les mauvaises
herbes. Quand il fait beau et que le soleil traverse les branches des
platanes dénudées, vous pouvez rester là des heures entières, à
écouter les pics-verts réveiller les insectes dans le creux des
troncs d'arbre et les mésanges se croire au printemps.
Vous
attendez, vous ne faites pas de gestes trop brusques sans pourtant
vous confondre avec les rares statues qui ornent le parc et vous
finirez toujours par les voir. D'abord il y en a une que vous n'avez
pas vu arriver et qui, seule dans l'allée centrale semble vous
regarder d'un air curieux en battant des oreilles dans l'air froid,
sa bête figure de ruminant pointée vers vous, mâchant quelque
chose.
Une
deuxième qui d'un pas martial, l'air de passer par là par hasard,
s'arrête juste à côté de sa camarade. Avec cette luminosité,
vous regrettez de ne pas avoir pris votre appareil. Mais vous savez
qu'au moindre clic, elles bondiront comme des flèches et que vous ne
les reverrez plus.
La
troisième, beaucoup plus petite, plus jeune, pleine de fougue,
déboule en manquant trébucher sur ses petites pattes et stoppe pile
entre les deux autres. On croirait qu'elles me font une chorégraphie.
J'imagine qu'il s'agit là de ma grand-mère Elsa, et de mes deux
tantes Adina et Meira, que je n'ai jamais connues. Les petites
devaient avoir entre 6 et 10 ans.
Ce
n'est pas moi qui leur fait tendre l'oreille mais elles se montrent
soudain inquiètes. Quelque chose derrière les a fait jaillir hors
de terre et disparaître dans les sous-bois. J'ai à peine entendu le
bruit de leurs sabots contre la terre froide. Ceux qui les ont fait
fuir s'avancent. Ils sont à peu près une vingtaine, des notables
pour la plupart, bien en joues, bien en chair, qui sont à l'origine
de cet « appel à la restitution du cimetière juif de Seegasse
à la ville de Vienne et à ses habitants ».
Ils
n'ont pas été jusqu'à mettre des brassards, mais derrière eux,
une dizaine de crânes rasés habillés en noir, portant des pioches
et des pelles, s'avancent dans leur accoutrement paramilitaire et
rigolent comme des ânes en vidant leurs canettes de bière.
Ces
animaux-là n'ont pas l'ouïe assez fine pour entendre le bruit sec
d'un fusil qu'on arme. Il savent abattre les biches et les faons à
bout pourtant, ils savent tirer de tendres filets saignants dans la
chair encore palpitante, piller les cadavres et les balancer dans des
fossés, ils savent jouir de leurs trophées, se perdre corps et âmes
dans de sanglantes libations, ils savent ensuite retourner à leur
vie civilisée sans jamais rien renier de leur appétit de
destruction.
Ils s'arrêtent net quand un immense brame déchire le silence. Suivi d'un autre, plus fort encore, plus majestueux. Le suivant est plus proche, assourdissant, je les vois qui se mettent les mains sur leurs oreilles, certains ont mis un genou à terre.
Ils s'arrêtent net quand un immense brame déchire le silence. Suivi d'un autre, plus fort encore, plus majestueux. Le suivant est plus proche, assourdissant, je les vois qui se mettent les mains sur leurs oreilles, certains ont mis un genou à terre.
On
dit que d'abord ils prennent nos bois, et qu'ensuite ils nous
immolent.
Quand
le cri s'échappe du fond de mes entrailles, signal pour tous de la
curée, nous fonçons sur eux tête baissée.
Signé: RongeMaille
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