30/10/2018

LE CŒUR BLANC de Catherine Poulain

Attention, récidive ! Et quelle récidive !

Catherine Poulain revient après le Grand Marin
C'est avec Le cœur blanc entre les mains qu'elle s'avance vers nous et c'est avec autant de force qu'on aimerait lui envoyer un nouveau "Merci".

Pas un merci du bout des lèvres. Non.
Encore moins un merci pour la forme. Non. 
Un merci qui frapperait aussi fort dans les estomacs que ses deux romans.
Ce genre-là de merci.

Pour le premier roman, la légende disait que l'éditeur ayant trouvé ses cahiers de notes, il l'avait ainsi balancée dans le grand bain de la littérature, cette dame Poulain.

Pour le second, c'est elle qui vient nous cueillir aux origines, au point de départ du grand marin, tout prés de Manosque les couteaux, que la narratrice fuyait, souvenez-vous, pour aller rejoindre les équipes de pécheurs en Alaska.

Ici, tout prés de Manosque (on finira par comprendre "les couteaux") c'est l'été écrasant, ici, c'est le peuple des saisonniers que l'on découvre. Celles et ceux qui travaillent dans les champs.  Des champs d'arbres fruitiers, ou de lavandes. Les tilleuls, les abricots, les cerises, on se brûle, on s'entaille, on boit jusqu'à plus soif, on dort dans des camions ou des cabanons dépourvus de toute forme de confort. Ici on  compte en francs, on aperçoit les premières traces de l'épidémie -celle du Sida- ici on soigne mieux les chiens que les humains. Ici on se bat avec les poings. On rêve de marcher jusqu'à la mer, ou de trouver le grand désert, celui des origines, on se promet de moins boire.

Mais ici et encore, sous la plume de Catherine Poulain, on est en vie. De ce souvenir de vie qui dépasse tous les cadres de la raison, de l'argent, du politiquement correct. 


Cette vie qui dépasse et de loin les écrans bleutés qui ont tout poli, formaté, anesthésié.
Ici on court après la vague d’après. Ici on en a jamais assez. Ici, tout n'est qu'excès. 
Et c'est si fort, si fort, que l'on finit par se souvenir de ce que veut dire "vivre". 

Cette grande dame des lettres a un pouvoir surpuissant, elle sait écrire la Vie.
Cet excès qui colle à la peau de celles et ceux qui n'en ont justement que très peu de peau, d'armure, de filtre. Nommez donc cela comme bon vous semblera.

Dans le grand marin on baissait la tête pour éviter les vagues, on laissait les hommes entre eux dans les rades entre deux expéditions. On prenait des flétans à bras le corps, et on mordait dans la morue crue. On grelottait, tant et tant, et jamais, on n'était parvenu à se sécher.
Ici, on ressort de la lecture la peau brûlée. On sent la transpiration, on a dormi à l'arrière des camions sur des chemins caillouteux. On a passé la main dans les boucles brunes, observé caché le corps de Rosalinde dans la rivière, on a sourit tant et tant à cette autre face de lune, cette Mounia / Mouna.
On a craint la force d'Acacio, et aimé passionnément les mains d'Ahmed.

Ici et sous la force de la plume de Poulain on approche la lumière des fruits non calibrées, ces hommes et ces femmes qui vivent nomades sous les insultes des patrons, sous la racisme latent des habitants, nous, les bien assis au chaud.
Et puis on retrouve comme dans le grand Marin, mais cette fois elles sont deux, Mounia et Rosalinde. Cette forme de liberté forcenée, ces femmes qui ne seront jamais à personne, quitte à payer le prix de la barbarie dans ces groupes d'hommes qui n'ont que leurs corps pour vivre.
Et elles savent dire leurs désirs à elles, et elles savent les vivre, mais jamais elles ne seront à quiconque d'autre qu'à elles mêmes.
Mounia aime Thomas qui lui préfère la drogue. Rosalinde affole à l'extrême tous les hommes, aime Ahmed puis Acacio.
Mounia et Rosalinde sont"sœurs" dans cette adversité, dans ce système quasi carcéral imposé par les hommes, est-ce que cela suffira à les sauver ? 

Elles portent, ces deux là,  jusque dans leurs veines de papier, des manifestes qu'on signerait bien des deux mains.
"De quoi j'ai peur ? Mais de tout, Mounia. Des hommes, du feu qui est en moi, de ce trop qui me mange et me tue, de ce vide qui veut m'avaler. C'est bizarre ce que je te dis, je suis pleine de trop et de vide. Mais le savoir n'y change rien"

Ils portent à eux tous, des manifestes politiques, économiques et autres que l'on signerait bien des deux mains.
"On est les abricots du rebut, les vilains petits fruits tout piqués, tavelés, tordus, les invendables qu'on balance dans le cageot pour la pulpe. J'ai pensé ça un jour, je calibrais, il faisait chaud, les cigales gueulaient, la poussière me collait à la peau."

Jamais, jamais Catherine Poulain ne nous fera la moindre leçon, pas même entre deux lignes.
Pas même en creux.

Tout est dans la lumière, ici, on ressent les mots, ils suintent, éructent et heurtent. Ici, on est parfois obligé d'interrompre la lecture pour souffler. Pour boire. Pour réaliser.

Trois petits tours et puis s'en vont.
Merci Madame Poulain. 
Et rien d'autre.






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