02/02/2016

LE GRAND MARIN de Catherine Poulain

Tonnerre de Brest, bande de bachi-bouzouks, asseyez-vous et tenez-vous bien au bastingage car voici l’événement majeur de cette rentrée littéraire francophone et hivernale. Le grand marin de Catherine Poulain est sans doute ce qui nous est arrivé de meilleur depuis des lustres. Pour un premier roman, cette jeune femme a jeté sur le papier une expérience personnelle peu anodine puisqu’elle a travaillé elle-même durant dix ans sur un chalutier en Pacifique Nord. Une expérience de vie exceptionnelle qu’elle avait d’abord retranscrite, dixit la la petite légende éditoriale qui est en train de se tisser autour d’elle, sur des carnets dépareillés qui sont tombés un jour entre les mains de son futur éditeur.
Ce qui nous arrive est bel et bien une fiction, mais c’est bien d’elle qu’il s’agit: un petit bout de femme opiniâtre qui sur un coup de tête, pour des motifs qui resteront jusqu’à la fin mystérieux, décide de quitter le Sud de la France pour les horizons sans fin et glacés au large de Kodiak, en Alaska. Jusqu’au bout, on ne saura jamais quelles raisons ont poussé cette jeune femme d’aspect fragile à relever ce défi. Et d’ailleurs, s’agit-il d’un défi ou d’autre chose ? Dormir sur un sol trempé en compagnie d’hommes peu affables, voir ses rares heures de sommeil entrecoupées par des appels à filer dare-dare sur le pont, à tirer des filets remplis de poissons en furie. Les coups de nageoire dans la figure, les arêtes saillantes qui transpercent les gants, abîment les mains, les vagues qui vous assomment et vous aveuglent sans s’arrêter pendant que vous videz les bestioles à la chaîne.
On l’aura sans doute compris, on n’est pas dans le badinage germanopratin, dans la romance de marin d’eau douce, mais dans une littérature de haut-vol, brute de décoffrage, qui vibre au rythme d’un vécu aventureux. Catherine Poulain se range d’emblée aux côtés de Jack London, Blaise Cendrars et d’autres, qui ne concevaient leur art que comme un écho à la vraie vie, et pas n’importe laquelle. Mais que recherchait-elle à Kodiak, mille sabords, si ce n’est cette sensation de vie pleine à ras-bord? Pourquoi les marins lorsqu’ils sont à terre ne pensent qu’à boire, à boire, faire l’amour, boire, se battre et boire encore, si ce n’est pour oublier l’ennui de cette vie-là ? Pourquoi s’embarquent-ils à bord de rafiots à la salubrité douteuse pour des voyages parfois sans retour, avec des types encore moins aimables qu’eux, et pour des salaires qui leur permettent à peine de se payer une chambre en ville ?
Et puis écrire alors, pour quoi faire ? Pareil sans doute.
La grande fierté de Catherine Poulain, en tout cas, c’est d’avoir fait bonne figure au milieu de ces gaillards, jusqu’à se faire accepter comme une des leurs. Un grand marin, quoi. On peut bien lui avouer ici ce qu’on pense d’elle après lecture de son bouquin: cela faisait bien longtemps qu’on ne s’était pas fait décoiffer comme ça, qu’on ne s’était pas mangé des bourrasques de cette force. Un grand écrivain, quoi.
Bon Dieu quel livre, quelle nana !



Signé : RongeMaille

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