Justine Niogret, l’espace de ce texte, quitte les univers de la science-fiction et de la Fantasy qui lui ont tout d’abord permis de s’évader (vous allez comprendre) et puis dans lesquels elle a fait carrière, en y excellant (elle a été notamment primée pour plusieurs romans, aux Utopiales, ou encore aux Imaginales).
Le syndrome du varan est le texte qu’elle signe au Seuil (mai 2018) et que je viens de refermer, que je n’oublierai jamais. Je ne peux que vous dire : « lisez-le ! » Je ne peux faire que cela. Et croyez-moi je ne suis pas à plaindre, loin s’en faut.
Le syndrome du varan est le récit d’une enfance maltraitée, le témoignage d’une enfant victime de parents barbares.
Aux deux tiers du texte, au milieu d’une page blanche, l’auteur dont cette enfance là est la sienne, pose – exsangue- ces quelques mots:
« Je n’ai aucun bon souvenir avec ma mère. J’en ai plusieurs avec mon père. Je ne sais pas ce qui est le plus triste »
Parviendrai-je, un jour à faire le tour de ces trois phrases ? Parviendrai-je un jour à appréhender leur portée ? Rien n’est moins sûr, mais ils sont là, ces mots, gravés désormais.
Justine Niogret pose des phrases courtes, pour désigner des faits précis. Elle le fait presque toujours en trois temps. « Voilà le contexte. Voilà ce qu’il s’est passé. Prenez-le comme vous pourrez ». S’installe alors une sorte de valse scandée comme écrite par un groupe de Hard Rock.
Elle nous interpelle, elle les interpelle, eux : toutes celles et ceux qui autour de ces parents et de leurs actes odieux ont fabriqué le silence. Elle nous interroge sur la place que nous concédons réellement aux victimes, sur celle que nous préférons laisser aux bourreaux, elle nous pose des questions sur ce que sont les héros, sur qui ils sont, et ce que c’est aussi d’être une femme, une fille, une enfant au milieu de ces héros.
Justine Niogret hurle, essaie, tente, de poser le fait que l’on ne revient pas de ce genre d’enfance, que l’on fait avec. Tout comme elle tente de poser qu’en écrivant ce texte, elle ne peut pas aborder ce qui la peuple désormais, qu’elle doit juste se contenter de dire des faits. Pour que cessent de n’exister dans nos médias, nos discours, seulement les bourreaux. Pour que les victimes aussi existent un peu quelque part et de temps en temps. Plutôt que de continuer de me demander comment vous parler de ce texte, j’ai préféré lui laisser la parole à elle !
Qu'elle soit remerciée ici encore une fois, et pour son roman, et pour le fait d'avoir accepté de se prêter à l'exercice de l'interview.
Justine Niogret vous êtes « plutôt » une auteur.e de science-fiction, sauriez-vous dire ce qui a permis ou provoqué l’écriture du Syndrome du varan ?
L'envie. La SFFF permet de cacher ce qu'on veut écrire, au fond. De garder un certain contrôle et un certain filtre. Les époques et les autres mondes permettent de parler de violence sans en parler vraiment. Tant que la violence est ailleurs, elle n'est pas tout à fait réelle.
La science-fiction, vous en parlez de façon magnifique dans Le syndrome du varan, comme la seule porte ouverte sur un ailleurs salvateur au cœur de cette enfance maltraitée. La seule avec la présence de cette grand-mère aussi. Comment décririez-vous les différences entre l’écriture de ce roman et l’écriture de vos romans de science-fiction ?
La SFFF demande des codes. Je les prends souvent à contre-pied, mais qu'on lui suive ou pas, les codes existent. Il y a des passages à peu près obligés, un vernis à poser sur une histoire, un personnage, une scène. Comment arriver à ce qu'on voit, la beauté de ce qu'on essaye de faire passer, par des chemins obligés ? Parfois l'écriture c'est un peu ça ; manger son entrée pour arriver au plat principal. Dans le varan, c'est brut. Il ne nécessite aucune forme, il n'y a que de l'écaille et de la sueur. J'ai aimé l'écrire.
J’ai relevé dans la construction de vos phrases, une sorte de rythme en trois temps. Comme si le texte était scandé autour d’un noyau « contexte, fait, ironie pour distancer» : comment avez-vous appréhendé l’écriture de ce texte ?
Je n'ai pas appréhendé, j'ai juste écrit. Mes livres se construisent autour de scènes qui me viennent, il faut les construire, là tout était déjà présent, il n'y avait qu'à suivre le chemin. Et l'écriture du varan était beaucoup plus légère que mes autres livres, c'est clairement mon écriture, sans filtre ni style historique, sans codes. Juste mes mots à moi, dans leur violence et leur ironie.
De quoi aviez-vous peur, qu’est-ce que vous saviez vouloir éviter à tout prix ? De même, comment présente-t-on un tel projet littéraire à son éditeur par exemple ?
Rien, je crois. En tout cas rien de littéraire. Dans ce livre-là, au contraire, je peux enfin écrire sans filtre, sans personnages ni scène par lesquels il faut passer. C'était très léger à écrire, en fait, beaucoup moins chiant que mes autres livres, où je tombe toujours sur des questions de scénar, de mise en place. Là tout est dépouillé, ça m'allait très bien. Et je l'ai envoyé tel quel sans me poser beaucoup de questions.
Est-ce que le « je » c’est imposé à vous ? Vous êtes-vous posée la question d’une narration plus distanciée autour de ces faits, ou était-ce juste impossible ?
Avec mon éditrice, Gwenaëlle Desnoyers, j'ai tenté le « elle ». le texte en prenait une tout autre couleur, fade, grise et surtout extrêmement triste. Il n'y avait plus du tout cette rage froide qui a mon sens donne sa véracité au livre.
Votre roman pose la question du témoignage et de ses limites, autant que celle du rôle de celles et ceux qui reçoivent le témoignage, est ce qu’avoir été au bout de l’écriture de ce roman, vous permet d’apporter un autre éclairage à cette question du témoignage ?
Pas vraiment. J'ai très peu de retour de lecteurs en général, du coup témoignage, peut-être, mais avec le silence comme réponse. Du coup je ne suis pas plus avancée.
Comment avez-vous vécu la réception de ce texte et comment décririez-vous l’après - Syndrome du varan ?
C'est difficile à dire. J'écris des livres très personnels, il me semble. Personnels pour le ou la lectrice. Je n'ai jamais eu de retours enfiévrés de la part de centaines de fans. Il n'y a pas vraiment d'échange entre moi et les lecteurs, ils lisent et le texte leur suffit. Du coup, aucune idée de la réception de mes textes à part certaines critiques trouvées sur le net ou des articles dans la presse.
Quels sont vos projets, sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Je travaille sur mon premier roman de fantasy, Rouge-Sel aux éditions Mnémos, l'histoire d'un dieu et d'un enfant d'Or, et des gladiateurs perdus au milieu d'un désert ocre. Et je travaille aussi sur des romans noirs historiques, le genre de bouquin qui fait pousser la moustache et donne envie d'aller vivre sous une tente en peau de phoque.
Si vous deviez nous faire écouter un morceau de musique pour évoquer Le syndrome du varan sans en parler directement, quel serait-il ?
Under the Northern star, d'Amon Amarth. Et Valhalla awaits me, des mêmes. Et comme je commence toujours mes livres par trois citations, j'ajouterai I will be heard des Hatebreed.
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