Les premières phrases vous scotchent: "Quelques semaines après l'anniversaire de mes quinze ans, un certain monsieur Gordon, ami de mes parents, me demanda sur un ton calme et direct si j'aimerais avoir une aventure avec lui."
Marcy est une jeune fille qui attire le regard depuis qu'elle est toute petite, une de ces personnes toute droit issues des fantasmes de chacun, une sorte d'idéal féminin faite de chair et de sang qui illumine tout ce qu'elle approche. A quinze ans, elle est ce genre de fille qui décourage de ces longues jambes bronzées et de sa chevelure blonde flamboyante quiconque voudrait la défier sur les terrains de sport, ou l'inviter sur la piste de danse. "Mais pour être tout à fait sincère, ajoute-t-elle plus loin, je voulais que mon aventure avec M. Gordon soit de nature sexuelle."
Pour tout l'or du monde n'est pas un roman entièrement dévolu au parcours de Mrs Marcy Bunkleman, il s'agit plutôt de l'histoire d'un rectangle amoureux qui durera des années lycée jusqu'à l'âge de la retraite. Marcy vivra son aventure avec ce bel homme grisonnant quelques mois avant de filer dans les bras du beau gosse du bahut, Allen, alias ABC, un autre genre d'aimant à regards et à désirs pour qui tout semble facile et naturel, y compris de mettre dans son lit, comme ça, la plus belle fille du campus.
Il y a aussi Jimmy, le meilleur ami d'ABC, qui n'en reviendra jamais vraiment de se retrouver dans les parages de la somptueuse Marcy dont il est fou amoureux, dont il sera fou amoureux jusqu'à la fin de sa vie. ABC et Marcy se marieront, Jimmy épousera la meilleure copine de celle-ci, Uta, petite bombe exhubérante à la tête bien sur les épaules qui trouve par ailleurs le bellâtre ABC complètement inconsistant, même si elle se sent parfois en osmose avec lui, de façon incompréhensible.
Et la vie passe, les sentiments trépassent, les gens changent, les grands moments se transforment en souvenirs, voire en regrets. Comme dans un roman de James Salter, auquel le cadre petit-bourgeois fait bien sûr beaucoup penser, David Huddle nous donne à vivre quelques vies entières, sur un mode chorale classique (les protagonistes prennent tour à tour la parole) mais qui prend ici une valeur bien singulière: au fil des pages, au fil du temps, les fortes personnalités s'estompent, prennent une teinte plus pâlote, ou se figent dans des postures ("Ma mère s'est changée en pierre" dit Suellen, la fille de Marcy dans le dernier chapitre). Jimmy et Uta auront vécu toute une vie à l'ombre de deux astres qui n'en étaient pas vraiment, et eux seuls finalement sauront ce qui se trouvait à l'intérieur. Marcy et Allen, eux, auront été aveuglés toute leur vie par le regard admiratif des autres.
Voici l'unique ouvrage que vous trouverez de David Huddle. Le reste de sa production, une oeuvre poétique fournie ainsi que quelques recueils de nouvelles, n'a tout bonnement jamais été traduit en France. L'Olivier réédite ce chef d'oeuvre (sorti il y a presque vingt ans dans une certaine indifférence en 10/18). On ne va pas chipoter longtemps et vous le dire tout net: on échangerait pas pour tout l'or du monde ce chef d'oeuvre contre toute l'oeuvre de James Salter.
Signé: RongeMaille
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