... Et pour la quatrième fois, on referme un roman de Tom Drury en se demandant: mais comment arrive-t-il à faire ça ?... C'est un des secrets les mieux gardés des lettres américaines, qu'on se refile de bouche à oreille comme l'adresse du meilleur restaurant du monde, qui serait aussi le genre de cantine familiale où on se sent comme chez soi, et où le patron vous offrirait les boissons à chaque fois. On se dit parfois qu'il est quand même dommage que l'aura de cet homme ne dépasse pas le cénacle réservé à quelques fines bouches et autre personnes de goût et puis, finalement, on se fait une raison: les grands sont souvent relégués dans l'ombre, c'est comme ça.
Tom Drury est sans doute l'auteur qui illustre le mieux cette définition d'"écrivain pour écrivains", qu'on a pu coller à d'autres avant lui. Jonathan Franzen, Annie Dillard, Véronique Ovaldé, Fabrice Colin ou Barry Hannah ne jurent que par lui, car qui mieux qu'un autre auteur serait à même de juger la précision d'orfèvrerie ici à l'oeuvre, sous ces fausses apparences de romanesque dilettante, de ballade sans fin ni véritable but, au coeur d'existences banales et anodines... en apparence.
Lui-même natif de l'Iowa (capitale: Des Moines), et y vivant toujours, nous voici donc revenus dans le comté de Grouse, là où le ciel est plus bleu qu'ailleurs avait-il déjà écrit dans un de ses livres précédents, où il se compte plus de moissonneuses-batteuses au kilomètre carré que d'habitants. Et que s'y passe-t-il, dans ce bienheureux comté ?
Lui-même natif de l'Iowa (capitale: Des Moines), et y vivant toujours, nous voici donc revenus dans le comté de Grouse, là où le ciel est plus bleu qu'ailleurs avait-il déjà écrit dans un de ses livres précédents, où il se compte plus de moissonneuses-batteuses au kilomètre carré que d'habitants. Et que s'y passe-t-il, dans ce bienheureux comté ?
Eh bien pas grand chose, et c'est là le plus terrible de l'histoire: il est en effet absolument impossible de résumer un roman de Drury. Et il n'a pas modifié d'un pouce sa manière de procéder depuis La fin du vandalisme et Les fantômes voyageurs. Il nous jette quelques personnages en pâture, quelques situations dramatiques, ou juste tendues, ou amusantes, voire drolatiques sur quelques pages, parfois quelques paragraphes et zou, passe à autre chose.
C'est pourquoi, bizarrement, pénétrer dans un roman de Drury fait toujours l'effet de commencer une sorte de roman russe miniature, de Tolstoï bonsaï. Après 30 pages de lecture de Pacifique, on se surprend d'ailleurs à s'énerver un brin: mais c'est qui cette Louise à la fin, c'est qui ce Micah, c'est le fils de qui... il faut se laisser un temps d'adaptation (j'allais écrire: adoption) pour que ces personnages s'insèrent dans le paysage. Quand les liens des protagonistes entre eux finissent par se révéler, quand leurs motivations éclatent au grand jour, ce n'est plus une histoire mais de multiples destinées qui progressent sous nos yeux. Le plus fort, c'est que Tom Drury est avare de description physique, de paysages comme d'intérieurs. Cette invitation à l'adresse du lecteur à compléter le tableau a pour effet merveilleux de nous rendre ces gens plus proches. Et c'est toujours un léger déchirement au coeur qu'on referme ses romans, comme à l'heure de se séparer d'un proche pour plusieurs années.
Il n'existe pas d'autre auteur à l'heure actuelle qui puisse vous procurer ce sentiment de joie et de satiété lorsque soudain vous reconnaissez à un trait de caractère, à un élément de sa vie intime (car vous avez oublié leurs prénoms depuis le précédent volet), un personnage auquel vous vous étiez attaché dans un autre roman. C'est comme... faire partie de la famille. D'où notre encouragement sincère à lire absolument TOUS les romans de ce grand écrivain afin de décupler le plaisir.
Reste que son style, son écriture, n'est pas facile à rallier à une quelconque école, à un autre écrivain. Parfois se rappelle quelque chose de ce qui faisait la délicatesse et la grandeur de Winnesburg, Ohio du grand Sherwood Anderson, peinture toute en pointillés d'un bled anonyme par le biais de nouvelles qui étaient autant de portraits de ses habitants.
Il n'existe pas non plus beaucoup d'auteurs américains actuels qui sachent parler de la vie ordinaire dans l'Amérique profonde sans verser dans des excès de violence et de dramaturgie. Dans chacun de ses livres, Drury plante des situations qui, sous d'autres plumes, vireraient au tragique ou au carnage. Chez lui, les drames prennent les aspects du quotidien le plus trivial ou, au pire, à des actes de violence qui laissent pantois par leur ridicule. Ici, l'invraisemblable affaire de trafic de fausses reliques celtiques avec son personnage d'originale cinglée , doit plus à Donald Westlake qu'à Donald Ray Pollock.
Ceci doit sans doute tenir à une explication des plus simples: le saviez-vous, mais l'Etat de l'Iowa est celui où le taux de criminalité est le plus faible des Etats-Unis. On se disait aussi que s'il y faisait si bon vivre, dans ce patelin, ça n'était pas seulement par la grâce d'un grand écrivain...
Signé: RongeMaille
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire