William Kotzwinkle, ce phénomène...
Y-en-a-t-il beaucoup, des écrivains comme lui, qui auront écrit autant de livres pour enfants, de romans de science-fiction, de romans noirs, de contes fantastiques, de nouvelles en tous genres et arpenté tous les terrains de la fiction avec pareille aisance ? Point commun à tous les éléments de son oeuvre, une décontraction de façade et un sens de la narration qui vous met illico dans sa poche. Pourtant, il y a loin entre la série pour gamins Victor le chien qui pète, le tragique bouleversant du Nageur dans la mer secrète, récit intime et pudique d'un deuil irréparable, au délire échevelé de certains de ses romans (dont Midnight Examiner, comédie slapstick sous acide, reste le sommet)... Jusqu'à ce Mister Caspian & Herr Félix qui n'est édité en français qu'aujourd'hui, trente ans après sa publication. William Kotzwinkle n'a peur de rien, et surtout pas de son imagination débordante. Jugez plutôt :
David Caspian est une star de cinéma adulée, oscarisée, un peu surmenée. La quarantaine bien sonnée, il promène son allure de dandy impeccable entre un agent spirituel mais vénal, une épouse spirituelle mais hystérique et sa petite fille de 11 ans, spirituelle elle aussi mais un peu trop maniaco-dépressive pour son âge. David s'apprête à tourner un nanard de science-fiction dans la Vallée de la Mort aux côtés d'une bombe sexuelle de vingt-cinq ans sa cadette, ce qui rend furieuse son petit bout de femme hystérique, et fou de joie son agent avide de dollars. En plus de l'âge qui s'avance et des petits bourrelets qui arrivent, Caspian a un problème de taille: il est victime de transsubtantiation de son moi intime vers un autre, dans une époque beaucoup moins confortable. Un phénomène qui va advenir de plus en plus souvent, de manière de plus en plus nette.
Cet autre lui, cet autre moi, s'appelle Félix, il est membre du parti nazi et vivote de magouilles et de marché noir en compagnie de son compère La Fouine, un as du baratin et du coup de surin. Tous deux travaillent pour le compte du colonel SS Mueller, bon vivant, homme à femmes, qui se sait dans le viseur de la Gestapo. Nous sommes en Allemagne, à l'aube de la chute du Grand Reich, à l'heure où l'on pend aux lampadaires les déserteurs et les tire-aux-flancs, que le Régime se sait acculé, et que les petits malins dans le genre de Félix travaillent à se faire des faux papiers en vue de se barrer très loin. Petit détail qui compte: Félix a été acteur de cabaret, il y a bien longtemps. Il sait jouer la comédie, connait l'art du maquillage, et sait faire semblant de boiter avec une fausse canne.
Petit détail qui compte: David Caspian a vécu en Allemagne lorsqu'il était jeune. Dans son bureau trône encore une affiche art nouveau vintage, qui date de cette période, et dont il ne s'est jamais séparée. Pas plus que ces reliques du Reich qui lui sont tombées dans les mains au fil des ans, il ne sait trop comment, et qu'il possède toujours. Dans ces rêves, dans ces phases de transe, il ne sait pas trop comment appeler ça, le colonel Mueller est incarné par un de ses amis comédien, et l'agent de la Gestapo Weiss ressemble trait pour trait à son psy, qu'il voit de plus en plus souvent ces derniers temps.
Qu'il s'agisse de crise de l'Inconscient ou du Surmoi, de schizophrénie aigüe ou de crises d'hallucination dues à l'art du dédoublement du comédien, Kotzwinkle se régale à ne pas tomber dans le piège de l'allégorie fastidieuse: Hollywood n'est pas un nouveau Reich, Caspian n'est pas un nazi qui s'ignore, mais en jouant sur les gammes d'un fantastique innocent (ce n'est pas un hasard s'il cite La Quatrième Dimension plusieurs fois), travaille plutôt sur l'art du comédien, ce syndrome complexe et contre-nature qui consiste, littéralement, à se mettre "dans la peau d'un autre".
Plus qu'une variation autour du mythe Jekyll/Hyde comme le suggère le titre français (le titre original, The Exile, restant plus fidèle à la nature du bouquin), on pourrait plus lire ce roman comme un pastiche innocent, en plus fun, du fameux Abattoir 5 de Vonnegut qui, lui, jouait une partition autrement plus métaphorique et tragique sur un même principe narratif.
Reste que Kotzwinkle est un Maître. Ces "glissements" d'une époque à une autre sont à faire lire à n'importe quel écrivain en herbe qui voudrait apprendre à raconter une histoire avant de jouer au petit malin avec les figures de style.
Reste que Kotzwinkle est un des plus grands dialoguistes du monde :
- ça c'est bien passé à Pittsburgh ?
- Je suis allé voir une de mes tantes qui perd la boule.
- Pour de vrai ?
- Elle reçoit des messages de la CIA.
- Mon oncle reçoit des messages dans son Sonotone. ça fait de bons dialogues parfois, je m'en sers dès que l'occasion se présente.
Reste qu'il reste PLEIN de Kotzwinkle à traduire. D'avance, merci Cambourakis, merci....
Signé: RongeMaille
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