Dans la postface dont il s'est fendu pour la réédition de ce livre, écrit il y a presque 20 ans, Nick Cohn conclut par ses mots, justement pesés et qui nous arrivent fort à propos: allez vous faire foutre.
Pourquoi en est-on arrivé là, me demanderez-vous ? C'est ce que Anarchie au Royaume-Uni vous explique, 460 pages durant, et dans un style qui vous prend, vous lecteur, pour un sac de frappe.
Lonely Planet pour taré, Guide du Routard pour fumeur de beuh, Petit Futé à la ramasse, les mots vous manqueront, sûrement... Ecrit juste au moment où ce grand socialiste de Tony Blair finissait de passer le peuple britannique à la concasseuse néolibérale, voilà un bouquin dont vous pourrez prendre note, en attendant qu'il devienne une de vos références sur l'étagère Histoire de France de votre librairie préférée, dans bientôt vingt ans. Blair était au pouvoir et Thatcher pas encore morte.
Ce que fait Nick Cohn ? Il emballe quelques affaires, se laisse traîner par sa grande copine Mary, avide de sensations fortes et de nouvelles rencontres (et de nouvelles substances), avec pour mot d'ordre d'aller taper la discute avec tout ce qui se trouve dans le caniveau. Ou à poil dans les squats sordides des quatre coins de sa Majesté. En morceaux dans les logements sociaux du Pays de Galles. Du Yorkshire. D'Irlande du Nord. Et des Highlands. Ou simplement oublié dans un cottage du fin fond de nulle part, petits vieux et petites gens qui ne savent pas se connecter, ne savent plus où ils sont.
On n'a jamais autant bu, autant gobé de poppers, s'être autant fait de tatouages idiots, pété autant de dents, effilé autant de bas résille que dans ce livre-Angleterre-là. Et sous la pluie...
Que vous soyez le dernier des trav', ou cette pauvre fille en talons aiguilles qui cherche à regagner son taudis sous les bourrasques, en espérant qu'il reste quelques biscuits et de la soupe en brick pour vos gamins, que vous soyez revivaliste chrétien, motard ultra-nationaliste à croix gravée sur le front (mais pas raciste, ça non), pakistanais de la deuxième génération prêt à régler ça à coups de chaînes avec les skins du quartier, militant indépendantiste écossais ou simple fumeur de ganja, vous n'aurez rien. De la rancœur peut-être...
Journaliste gonzo à tête froide mais à la plume acerbe, Nick Cohn a pris note, et ce qu'il a vu en 1999 n'est plus. Plus rien. Un grand vide.
Margaret, John Major, Tony, Cameron, Theresa May, quelques autres et puis voilà. This was England...
"Ce monde est en ruine. Chez les personnes âgées, beaucoup vivent dans une pauvreté abjecte. Ma fille travaille pour les services sociaux de Manchester, et parle de clients qui ont plus de 80 ou 90 ans, qui se nourrissent de pâtée pour chiens et réparent leurs vitres cassées avec du ruban adhésif. (...) Leur vote (ceux qui ont voté pour le Brexit, Ndr) était largement symbolique: le geste stérile de gens que l'on avait systématiquement privés de leurs aspirations et presque de leurs voix. S'ils ne pouvaient plus parler d'espoir, au moins ils pouvaient dire: Allez vous faire foutre."
Nick Cohn est aussi l'auteur d'un article qui servit de base au film Saturday night fever, tout sauf une fête, un papier terrible sur la vie nocturne des rues de New York à la fin des années 70. Il est surtout celui qui a écrit ce grand bouquin sur la naissance du rock'n'roll, au titre qui résume absolument tout:
A woplopaloobop A lopbamboom.
Signé: RongeMaille
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