Décidément, la Louisiane est une terre de fiction assez
étrange, partagée entre deux univers bien distincts, celui du fantasme et
celui, plus prosaïque, imparti à la
dureté et au sordide du réel : après avoir tristement squatté les gros
titres de l’actualité suite à l’ouragan Katrina, l’Etat le plus pauvre des
Etats-Unis, en plus d’être un de ses plus criminogènes, a depuis toujours
déchaîné l’imagination des écrivains et des scénaristes.
Et pourtant, qui pour supplanter l’ombre tutélaire du grand
James Lee Burke sur ce territoire ? Personne. On pourra toujours parler de
la série Treme , ou s’emballer sur la
fameuse première saison de True detective,
se souvenir des premiers Ann Rice, songer à quelques films ou se remémorer
autant de romans, la Louisiane est une terre qu’on n’oublie pas, mais où les
auteurs ne s’attardent pas vraiment. Sans savoir si Tom Cooper est natif de
là-bas, on lui saura gré d’avoir, d’entrée, trempé sa plume dans la vase puante
et grouillante du bayou loin, très loin, des fiestas endimanchés du Quartier
Français de New Orleans. Nous sommes dans la Louisiane du comté de Jeanette où
les gens ne vivent que d’une chose : la pêche à la crevette. Sur des
bateaux à moitié pourris, des types rendus fous à force de fatigue, de pauvreté
et de températures hallucinantes, raclent les fonds pour quelques dizaines de
dollars qui repartent illico dans leurs frais de gazole. Cerise sur la gâteau,
et comme si Katrina n’avait pas suffit, une plateforme pétrolière quelque part
dans le Golfe du Nouveau-Mexique, a largué dans la foulée des milliers de
tonnes de pétrole (souvenez-vous, c’est vraiment arrivé…), empoisonnant faune
et flore des centaines de kilomètres à la ronde.
Tom Cooper connait ses classiques, il est ici dans le roman
noir rural et sudiste comme chez lui. On est chez Erskine Caldwell (le
personnage de Lindqvist, grotesque et pathétique, avec sa prothèse de bras à
crochet, fouillant le bayou à la recherche du trésor du pirate Jean Lafitte),
on est chez Larry Brown (les rapports compliqués entre le jeune Wes et son
père, pêtris de ressentiments), on est chez James Lee Burke bien sûr (sous les
traits plus burkiens que burkiens de cette figure du mal absolu, et bicéphale,
que sont les frères jumeaux Toup, leur sens de l’humour très particulier, leur
notion de la « justice » expéditive), on est un peu chez Elmore
Leonard aussi (via ce tandem de bras-cassés, hilarant mais navrant, que forment
Cosgrove et Hanson, plus crétins que crétins).
Là où Les Maraudeurs
emporte définitivement le morceau, c’est lorsqu’il ose, lors d’une séquence de
pure hallucination, ce face-à-face mortel entre la sauvagerie de la nature (les
marais, les alligators, les îlots si semblables à perte de vue) et les forces
ancestrales d’une magie noire plus vengeresse que vaudou. Un passage qui accule
le roman sur les terres d’un fantastique merveilleux. C’est irracontable (et cela gâcherait le
suspense et le plaisir qui s’ensuit), mais cela montre à quel point Tom Cooper,
dont c’est le premier roman, a su tirer aussi quelques leçons profitables de
quelques grands auteurs, du Sud eux aussi, comme Truman Capote (La Harpe d’herbes), Davis Grubb (La nuit du chasseur) ou Joe Lansdale (Les marécages) : le Sud et sa
nature sauvage sont là pour nous rappeler à nos peurs enfantines les plus
primordiales. Et surtout, méfiez-vous des vieux fous qui habitent seuls dans
des cabanes de planche au fin fond des marais, et parlent des langues
étranges : ils savent des choses…
Au cœur de ce roman très riche, construit de manière très
classique, il y a aussi cette histoire secondaire, laissée en plan tout au long
du livre mais qui trotte dans l’esprit du jeune Wes, fils de pêcheur, fils d’un
père avec qui il ne s’entend pas, fils d’un pays d’une dureté inhumaine et
pourtant… Wes est en train de construire son bateau, de ses propres mains,
comme ses ancêtres avant lui, afin de
filer seul et libre dans les méandres de la Barataria. Parfaite métaphore d’un
savoir-faire littéraire dont l’auteur se fait ici le digne héritier, d’un
métier qui s’est transmis jusqu’à son écriture. Stephen King et Donald Ray
Pollock se sont confondus en louanges à son sujet et c’est un résumé parfait de
ce qu’on a sous les yeux : le savoir-faire d’un sacré raconteur
d’histoires allié à la dureté de l’Amérique profonde.
Signé: RongeMaille
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