20/05/2016

LES MARAUDEURS de Tom Cooper

Décidément, la Louisiane est une terre de fiction assez étrange, partagée entre deux univers bien distincts, celui du fantasme et celui, plus prosaïque, imparti  à la dureté et au sordide du réel : après avoir tristement squatté les gros titres de l’actualité suite à l’ouragan Katrina, l’Etat le plus pauvre des Etats-Unis, en plus d’être un de ses plus criminogènes, a depuis toujours déchaîné l’imagination des écrivains et des scénaristes.

Et pourtant, qui pour supplanter l’ombre tutélaire du grand James Lee Burke sur ce territoire ? Personne. On pourra toujours parler de la série Treme , ou s’emballer sur la fameuse première saison de True detective, se souvenir des premiers Ann Rice, songer à quelques films ou se remémorer autant de romans, la Louisiane est une terre qu’on n’oublie pas, mais où les auteurs ne s’attardent pas vraiment. Sans savoir si Tom Cooper est natif de là-bas, on lui saura gré d’avoir, d’entrée, trempé sa plume dans la vase puante et grouillante du bayou loin, très loin, des fiestas endimanchés du Quartier Français de New Orleans. Nous sommes dans la Louisiane du comté de Jeanette où les gens ne vivent que d’une chose : la pêche à la crevette. Sur des bateaux à moitié pourris, des types rendus fous à force de fatigue, de pauvreté et de températures hallucinantes, raclent les fonds pour quelques dizaines de dollars qui repartent illico dans leurs frais de gazole. Cerise sur la gâteau, et comme si Katrina n’avait pas suffit, une plateforme pétrolière quelque part dans le Golfe du Nouveau-Mexique, a largué dans la foulée des milliers de tonnes de pétrole (souvenez-vous, c’est vraiment arrivé…), empoisonnant faune et flore des centaines de kilomètres à la ronde.

Tom Cooper connait ses classiques, il est ici dans le roman noir rural et sudiste comme chez lui. On est chez Erskine Caldwell (le personnage de Lindqvist, grotesque et pathétique, avec sa prothèse de bras à crochet, fouillant le bayou à la recherche du trésor du pirate Jean Lafitte), on est chez Larry Brown (les rapports compliqués entre le jeune Wes et son père, pêtris de ressentiments), on est chez James Lee Burke bien sûr (sous les traits plus burkiens que burkiens de cette figure du mal absolu, et bicéphale, que sont les frères jumeaux Toup, leur sens de l’humour très particulier, leur notion de la « justice » expéditive), on est un peu chez Elmore Leonard aussi (via ce tandem de bras-cassés, hilarant mais navrant, que forment Cosgrove et Hanson, plus crétins que crétins).
Là où Les Maraudeurs emporte définitivement le morceau, c’est lorsqu’il ose, lors d’une séquence de pure hallucination, ce face-à-face mortel entre la sauvagerie de la nature (les marais, les alligators, les îlots si semblables à perte de vue) et les forces ancestrales d’une magie noire plus vengeresse que vaudou. Un passage qui accule le roman sur les terres d’un fantastique merveilleux.  C’est irracontable (et cela gâcherait le suspense et le plaisir qui s’ensuit), mais cela montre à quel point Tom Cooper, dont c’est le premier roman, a su tirer aussi quelques leçons profitables de quelques grands auteurs, du Sud eux aussi, comme Truman Capote (La Harpe d’herbes), Davis Grubb (La nuit du chasseur) ou Joe Lansdale (Les marécages) : le Sud et sa nature sauvage sont là pour nous rappeler à nos peurs enfantines les plus primordiales. Et surtout, méfiez-vous des vieux fous qui habitent seuls dans des cabanes de planche au fin fond des marais, et parlent des langues étranges : ils savent des choses…

Au cœur de ce roman très riche, construit de manière très classique, il y a aussi cette histoire secondaire, laissée en plan tout au long du livre mais qui trotte dans l’esprit du jeune Wes, fils de pêcheur, fils d’un père avec qui il ne s’entend pas, fils d’un pays d’une dureté inhumaine et pourtant… Wes est en train de construire son bateau, de ses propres mains, comme ses ancêtres avant lui,  afin de filer seul et libre dans les méandres de la Barataria. Parfaite métaphore d’un savoir-faire littéraire dont l’auteur se fait ici le digne héritier, d’un métier qui s’est transmis jusqu’à son écriture. Stephen King et Donald Ray Pollock se sont confondus en louanges à son sujet et c’est un résumé parfait de ce qu’on a sous les yeux : le savoir-faire d’un sacré raconteur d’histoires allié à la dureté de l’Amérique profonde.


Signé: RongeMaille  

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