20/02/2016

ANOMALIA de Laura Gustafsson


 Le rongeur de livres que je suis admet apprécier la littérature qui taille dans le vif, quitte à se montrer parfois brutale, crûe, méchante. Mais là, avec ce roman de Laura Gustafsson qui vient de paraître chez Grasset, on devra admettre qu'on s'en est pris plein les dents. Anomalia est un livre qui joue avec les limites, avec notre tolérance à la douleur, et c'est pour cela qu'il a droit à cette notule..

Anomalia est un roman à plusieurs trames en apparence sans lien, mais dont on devine assez vite les intentions : Laura Gustafsson veut nous y parler de notre part d'animalité, en même temps qu'elle veut montrer du doigt l'anomalie que nous constituons au cœur de la Création. On y suit une hôtesse de l'air qui, lors d'une escale en Inde succombe à un bel et sombre inconnu, et tombe enceinte de ses œuvres ; apprenant que son enfant naîtra trisomique, elle décide de la garder et s'enfonce dans la forêt... Et puis il y a ce pasteur, en Inde toujours, presque un siècle plus tôt, qui tente de soigner et d'éduquer deux gamines que des chasseurs ont récupérées, et qui ont été élevées par des loups (une histoire qui se rapporte d'ailleurs à des faits véridiques).

Et puis il y a... de la page 143 à 228 ce long calvaire littéraire intitulé Le livre de Baby P. 80 pages d'ignominie que vous ne pouvez vous empêcher de lire d'une traîte, l'histoire du calvaire sans fin d'un bambin encore dans ses couches, aux prises avec la débilité d'une mère immature, et d'un beau-père sadique et pervers. Un concentré de lumpenprolétariat anglais comme dans certains films « à l'os » de Alan Clarke, ou le roman ricanant de Martin Amis Lionel Asbo. Les pitbulls enfermés dans la cuisine, la vaisselle sale qui déborde, les crottes de chien incrustés dans la moquette, la télévision qui braille en permanence, les coups qui partent, les beuveries sans fin, tee-shirt Britney Spears pour elle, Mein Kampf pour lui, des assistances sociales qui n'y voient rien, une inspectrice de police à qui l'on demande de s'occuper de ses oignons, la courte vie en accéléré de bébé et comment il finit. Une horreur sans nom, 80 pages aux limites du supportable écrites sans forcer, un survol en accéléré de ce qu'il faut en retenir, sans pathos ni empathie, avec à peine une pointe d'ironie.


Laura Gustafsson s'était déjà faite des ennemis avec son précédent Conte de putes (pas lu), et cela ne va certainement pas s'arranger. Cette belle jeune femme, provocante, tatouée et sans complexe, sait enfoncer sa plume là où ça fait hurler. Ses mauvaises manières sont radicales, certes, et pas toujours bienvenues (la quatrième partie, sorte de courte pièce de théâtre, est franchement faiblarde) mais elle sait ce qu'elle recherche. Elle qui, parait-il, offre aussi des pièces scéniques décoiffantes entre théâtre et performance sur ses propres textes, a au moins cette conviction bien nette qui est la suivante : non, l'homme n'est pas un loup pour l'homme, ce serait insulter l'animal. Mais l'homme est un porc pour tout le monde.


Vous l'aurez compris : à ne pas mettre sous tous les yeux...


Signé: RongeMaille

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