Le rongeur de livres que je suis admet
apprécier la littérature qui taille dans le vif, quitte à se
montrer parfois brutale, crûe, méchante. Mais là, avec ce roman de
Laura Gustafsson qui vient de paraître chez Grasset, on devra
admettre qu'on s'en est pris plein les dents. Anomalia est un livre
qui joue avec les limites, avec notre tolérance à la douleur, et
c'est pour cela qu'il a droit à cette notule..
Anomalia est un roman à plusieurs
trames en apparence sans lien, mais dont on devine assez vite les
intentions : Laura Gustafsson veut nous y parler de notre part
d'animalité, en même temps qu'elle veut montrer du doigt l'anomalie
que nous constituons au cœur de la Création. On y suit une hôtesse
de l'air qui, lors d'une escale en Inde
succombe à un bel et sombre inconnu, et tombe enceinte de ses
œuvres ; apprenant que son enfant naîtra trisomique, elle
décide de la garder et s'enfonce dans la forêt... Et puis il y a ce
pasteur, en Inde toujours, presque un siècle plus tôt, qui tente de
soigner et d'éduquer deux gamines que des chasseurs ont récupérées,
et qui ont été élevées par des loups (une histoire qui se
rapporte d'ailleurs à des faits véridiques).
Et
puis il y a... de la page 143 à 228 ce long calvaire littéraire
intitulé Le livre de Baby P. 80
pages d'ignominie que vous ne pouvez vous empêcher de lire d'une
traîte, l'histoire du calvaire sans fin d'un bambin encore dans ses
couches, aux prises avec la débilité d'une mère immature, et d'un
beau-père sadique et pervers. Un concentré de lumpenprolétariat
anglais comme dans certains films « à l'os » de Alan
Clarke, ou le roman ricanant de Martin Amis Lionel Asbo.
Les pitbulls enfermés dans la cuisine, la vaisselle sale qui
déborde, les crottes de chien incrustés dans la moquette, la
télévision qui braille en permanence, les coups qui partent, les
beuveries sans fin, tee-shirt Britney Spears pour elle, Mein Kampf
pour lui, des assistances sociales qui n'y voient rien, une
inspectrice de police à qui l'on demande de s'occuper de ses
oignons, la courte vie en accéléré de bébé et comment il finit.
Une horreur sans nom, 80 pages aux limites du supportable écrites
sans forcer, un survol en accéléré de ce qu'il faut en retenir,
sans pathos ni empathie, avec à peine une pointe d'ironie.
Laura
Gustafsson s'était déjà faite des ennemis avec son précédent
Conte de putes (pas
lu), et cela ne va certainement pas s'arranger. Cette belle jeune
femme, provocante, tatouée et sans complexe, sait enfoncer sa plume
là où ça fait hurler. Ses mauvaises manières sont radicales,
certes, et pas toujours bienvenues (la quatrième partie, sorte de
courte pièce de théâtre, est franchement faiblarde) mais elle
sait ce qu'elle recherche. Elle qui, parait-il, offre aussi des
pièces scéniques décoiffantes entre théâtre et performance sur
ses propres textes, a au moins cette conviction bien nette qui est la
suivante : non, l'homme n'est pas un loup pour l'homme, ce
serait insulter l'animal. Mais l'homme est un porc pour tout le
monde.
Vous l'aurez
compris : à ne pas mettre sous tous les yeux...
Signé: RongeMaille
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