21/02/2016

MORPHINE de Szczepan Twardoch

On croirait lire un roman des années 30, à moins que ce ne soit un inédit d'un ces vieux auteurs classiques très Mitteleuropa, mais non, Morphine est bien l'oeuvre d'un jeune auteur polonais contemporain, Szczepan Twardoch, qui n'a pas 40 ans. Un roman bien tassé de plus de 500 pages au propos anachronique à première vue, mais qui trouve ici un écho des plus étranges.

Que raconte Morphine si ce n'est qu'il aurait pu s'appeler La déchéance d'un sinistre imbécile ?Konstanty, dit Kostia,  le « héros » de cette histoire est officier dans l'immortelle armée polonaise, au lendemain de ce qui restera comme la plus belle déculottée militaire du XX° siècle. Les polonais se sont fait écrasé par l'armée du Reich, Varsovie a été pilonnée sans merci, et les Allemands commencent à planter leurs petits drapeaux un peu partout. Nous sommes en 1939. Kostia conchie les généraux de son armée et considère de haut ces patriotes qui parlent de l'immortalité de l'âme polonaise. Il s'en fiche Kostia, car il est le plus malin de tous : il a assez de vivres et de charbon pour faire vivre sa femme et son gosse, il a assez d'argent pour entretenir Salomé, la sinistre putain vénéneuse et languide avec qui il partage sa passion, la morphine. Et puis comble de tout, coincé entre ses serpents d'allemands et ses couards de polonais, il possède une arme fatidique : il est à moitié allemand, par son père, et maîtrise parfaitement la langue.


En lisant Morphine, on se retrouve direct dans le Berlin d'Alfred Döblin, la Russie de Boulgakov ou dans une clinique d'un roman de Kosztolanyi. Un cloaque insensé qui va mener Kostia à sa perte. Sauf que ce qui va le perdre se passe dans sa pauvre caboche.


Grandeur et décadence d'un petit bonhomme pourrait être un autre titre pour ce roman de facture classique, mais profondément malade. Lorsque Kostia marche dans les rues de sa ville, il est précédé ou suivi par lui-même, parle de lui à la troisième personne, comme atteint d'un léger décalage temporel... physiologique. Il s'insulte puis se sublime, vous raconte l'avenir des gens qu'il croise. La morphine, cette belle amie lui fait voir son existence en grandiose, puis en vaseux dégoulinant. Salomé est sublime et décatie au réveil, sa femme le méprise du plus profond de son cœur, il se souvient de sa mère complètement folle, de son père tué par une balle polonaise durant la Grande Guerre, et de son seul véritable amour, parti épouser son meilleur ami.

La tête du sous-lieutenant Konstanty Willemann est un épouvantable fatras et cette guerre contre lui-même va le détruire. Formé de spirales et de volutes serpentines, le roman de Twardoch vous contracte dans ses nœuds lentement mais sûrement. C'est assurément le travail d'un grand écrivain, et on sort de son livre à la fois dégoûté et consterné par le mal qu'un homme peut se faire à lui-même. Avec l'aide de Soeur Morphine, cette divine traînée.




Signé: RongeMaille

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