02/10/2015

LES MAITRES DU PRINTEMPS d’Isabelle Stibbe

C’est une histoire dont on n’a pas vraiment envie de se souvenir, c’est un roman qui, au fond, n’apprendra rien à celles et ceux qui ont suivi les déboires des hauts fourneaux de Florange dans les colonnes du Canard Enchaîné ou du Monde Diplo. Mais  c’est un roman qui en parle avec force et rend toute sa grandeur à un monde que l’on oblige à s’éteindre. Isabelle Stibbe nous raconte cette sombre histoire, celle de la fin des hauts fourneaux du Nord, de la Lorraine et d’ailleurs, sacrifiés à l’aune du réalisme économique le plus macabre.
Il y a donc la ville d’Aublange, un racheteur indien multimilliardaire qui cherche on ne sait trop quoi et semble balader tout le monde, salariés, syndicats et politiques locaux, tous dans le même panier. Et ces trois voix qui se questionnent sur le sort que le destin leur réserve: un député ambitieux, parti de rien et qui s’y verrait bien, un syndicaliste charismatique et imprégné jusqu’aux os de culture ouvrière, ainsi qu’un artiste reconnu qui pourrait passer commande de quelques tonnes de métal pour une création colossale. La peur de mal faire et de renier ses principes pour l’un, la crainte que cette lutte n’aboutisse à rien pour l’autre, et l’ombre de la camarde pour le vieil artiste qui vient de se voir diagnostiquer un méchant cancer.
Les maîtres du printemps est bien plus un récit impressionniste qu’un pur roman. On connait la fin de toute façon, qui nous est d’ailleurs épargnée, et nous raconter une nouvelle fois le cours des événements n’intéresse pas l’auteur qui, par contre, sait à merveille se glisser dans la conscience inquiète de ces personnages, sans glisser vers la harangue politique, et dans les lamentations encore moins.
« Nos ennemis peuvent couper toutes les fleurs, mais ils ne seront jamais les maîtres du printemps ». Voilà ce qu’écrivait Pablo Neruda en des temps qu’on imagine critiques, voilà ce qui imprègne tout du long le beau texte d’Isabelle Stibbe: la conviction  que les hommes se sauvent d’eux-mêmes et de toutes les horreurs du dehors, qu’elles soient économiques ou autres, par la grandeur de ce qu’ils savent conserver au fond d’eux.

Signé : RongeMaille

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