Drago Jancar a été révélé au grand public français grâce au succès de Cette nuit, je l’ai vue, paru en 2014 chez Phébus, et qui avait su agrandir le cercle de son lectorat habituel. Phébus en profite donc et insiste, en rééditant dans sa collection Libretto un autre de ses romans, précédemment paru aux défuntes éditions du Passage du Nord-Ouest. De quoi briser la réputation d’auteur « difficile » de l’écrivain slovène qui, même s’il s’agit là d’un livre autrement plus rugueux, s’avère plus que jamais comme un narrateur extraordinaire.
Nous sommes donc à l’intérieur de la prison de Livada dans laquelle s’empilent prisonniers de droit commun, politiques, petites frappes, vrais tarés et gardiens sadiques adeptes du matraquage. Un jour de retransmission du match de basket USA-Yougoslavie, un maton commet l’ irréparable: il éteint la télévision en plein milieu. C’est le début d’une insurrection sauvage.
Rien que de bien banal, me direz-vous, si ce n’est que Des bruits dans la tête se déroule dans un contexte historique et politique bien particulier, celui de l’ex-Yougoslavie de Tito, faussement émancipée mais à la botte, tout de même, de son voisin soviétique. Il ne faut pas attendre longtemps avant de comprendre vers quoi le roman file, à savoir une métaphore impitoyable sur l’exercice du pouvoir dans un régime dictatorial. Car à l’intérieur de Livada encerclé par les forces de l’ordre, un autre régime s’impose, une autre terreur organisée cette fois par les mutins eux mêmes, une autre police. Le bibliothécaire devient dictateur, la barbier devient tortionnaire en chef, les lâches d’hier sont les kapos du présent, les véritables héros de l’insurrection redeviennent les hommes à abattre. Dehors, la police, les militaires et l’Etat attendent calmement de reprendre les choses en main.
Ce qui bouleverse le plus dans le roman de Jancar, ce ne sont pas les situations d’horreur et de démence meurtrière qui finissent par contaminer et rendre irrespirables chacune de ses pages mais comment son héros, Keber, parvient à s’ »échapper » de cette prison et de lui-même. Les yeux ouverts, sous les coups, il s’imagine en chef des juifs qui prirent la cité de Massada et tinrent tête aux Romains il y a presque 2000 ans.
Surtout, c’est lui qui porte cette revendication aux forces de l’ordre qui s’avère être la plus importante, la plus glorieuse de toutes, la seule qui tienne vraiment. Il ne réclame pas, comme les autres, des permissions plus longues, la visite de femmes, une meilleure nourriture, voire une complète amnistie: Keber veut juste que les équipes « rejouent le match ». Il n’a pas vu la fin, et il pressent que cela reste le signe le plus tragique de son retrait des vivants.
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