Journaliste
à l'Humanité, Ixchel Delaporte, suite à une note de l'INSEE Aquitaine de 2011
évoquant un "couloir de la pauvreté" dans le Bordelais, suivie trois
ans plus tard d'une autre note confirmant une aggravation de la situation,
s'était déjà rendue sur place pour un reportage d'une semaine pour l'Humanité et pour Côté Quartiers.
Mais comme
elle l'écrit dans Les raisins de la misère
: "En 2015, les liens entre la pauvreté et les châteaux, je les avais à
peine effleurés. Pour comprendre les raisons d'une telle coïncidence entre la
carte de la pauvreté et la carte des grands crus, il fallait y retourner plus
longuement, opérer un va-et-vient entre ceux qui vivent modestement, voire
misérablement, et ceux, bien mieux lotis, qui possèdent les grands vignobles.
(...) Peu à peu, face à la gêne évidente de certains de mes interlocuteurs à la
simple évocation du sujet, j'ai senti à quel point associer la splendeur d'un
des patrimoines les plus importants de France à la précarité s'avérait une
entreprise délicate, presque malvenue."
Pourtant,
avec ce talent pour décrire les situations avec une économie de mots justes,
elle s'y attelle remarquablement. Et comme cet auto-stoppeur, paradigme du
travailleur itinérant précaire, qui monte dans sa voiture de location au début
de cette enquête, on embarque avec elle.
Direction
Pauillac, Saint-Emilion, Sauternes, Listrac-Médoc, Malagar, mais aussi Libourne,
Castillon-la-Bataille, La Réole, Sainte-Foy-la-Grande, Lesparre, des noms moins
ronflants mais non dénués d'histoire pour autant. Partout, à moins d'être
classé au Patrimoine Mondial de l'Unesco, le même constat : centres-villes
décatis, commerces en berne, logements à l'abandon, trafic et hard discount.
C'est
l'envers du décor pour touristes fortunés que sont devenus châteaux, quais
aménagés de la Gironde et même villages modelés de toutes pièces façon
nostalgie chic qui sont autant d'étapes d'un parcours balisé qui
viendra confirmer ces si merveilleux sentiments ressentis à la lecture de non
moins magnifiques reportages sur papier glacé sur le monde du vin. Un
détour par la capitale régionale s'imposera alors, qui renforcera cette magie
hors du temps.
Mais comme
le relève Ixchel Delaporte : "lorsque Pierre Lurton s'exprime sur le
terroir bordelais, en particulier dans une vidéo au début du parcours de
l'exposition de la cité du Vin à Bordeaux, à aucun moment il n'est question des
hommes qui y travaillent. Comme si le terroir et le climat se suffisaient à
eux-mêmes."
Ce sont ceux
qui se tuent à la tâche qu'elle traque et qui lui ouvrent leurs portes :
saisonniers en contrat précaire, Marocains passés par l'Espagne d'avant la
crise, Tziganes sédentarisés, jeunes Espagnols en rupture de ban... Ce sont des
pratiques, surtout : exonération des taxes fiscales, sous-traitance des
prestations viticoles, et leur corollaire : systématisation des contrats de
travail occasionnels précarisant toujours plus les salariés, heures non payées,
déduction faite de loyers excessifs pour des taudis insalubres, exigences de
rendement et cadences infernales entraînant de nombreux troubles
musculo-squelettiques, maladies dues à l'emploi de pesticides, absence
d'espaces d'accueil pour les travailleurs saisonniers obligés de squatter
l'espace public... Comme le dit une employée de la MSA (Mutuelle Sociale
Agricole) : " Cette situation arrange tout le monde. Il y a beaucoup
d'exploitation humaine en Gironde."
Le constat
est terrible mais tous les interlocuteurs qui se sont confiés à Ixchel
Delaporte font preuve d'une grande humanité. Ils nous décrivent ces vies
minuscules consacrées à la vigne, cet ogre dévorant ses enfants et leur
environnement. Il lui a par contre été impossible de discuter de cette
situation avec les propriétaires des grands châteaux. Banques, groupes
d'assurance, multinationales du luxe... : on est souvent loin de toute
façon du simple viticulteur-propriétaire-récoltant.
Enfin, même
si le sujet n'est que brièvement évoqué, ce "couloir de la pauvreté"
tend à se doubler désormais d'un vote nationaliste. L'actualité,
particulièrement chaude à Bordeaux, voit également s'exprimer une certaine
colère. Les écarts de niveau de vie, qu'une majorité s'accorde à trouver
toujours plus indécents et intolérables, sont d'une cruelle réalité en
Gironde. Ce durcissement d'un modèle d'exploitation déjà ingrat aura-t-il
d'autres conséquences ?
"Hier,
je suis allée voir un monsieur de 75 ans qui vit à Semens, tout près de
Verdelais. Il a un cancer de la gorge, à cause du Roundup, l'herbicide. Il loge
dans une petite maison à côté d'un magnifique château. Au sol, c'est de la
terre battue. Il n'a pas de gaz, pas de salle de bains. Il se lave au robinet
de l'évier. Ses mains sont complètement brûlées par les produits", me
détaille Francine, impuissante et choquée. Cet homme s'est occupé des vignobles
de la propriété toute sa vie. En échange, il a droit à ce taudis jusqu'à sa
mort."
Signé:
Lolqat
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