07/12/2018

MEMOIRES D'UN RAT d'Andzrej Zaniewski


Vous n'avez jamais entendu parler d'Andzrej Zaniewski mais lui vous connait parfaitement. Il sait que vous êtes de la même race que lui et que vous ne voulez pas toujours l'admettre. Ecrit à la fin des années 70, ce livre fut une première fois édité en France au milieu des années 90, et j'en gardais un souvenir de lecture tellement puissant que je me suis demandé un certain temps, en tournant autour comme un chat auprès d'une souris à la patte cassée, si j'allais y retrouver ces mêmes impressions.

Des impressions ? Des sensations plutôt, des odeurs, des bruits, des éclats de chaleur et de lumière, des peurs, des éclairs de douleur et de jouissance momentanés, ces Mémoires d'un rat sont écrites comme le journal intime d'un rat crevé, de la naissance jusqu'à son inévitable trépas, une histoire écrite non pas par un fou mais par un innocent, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien. Un innocent qui sera victime, bourreau, proie, chasseur, âme sauvage comme cette toute petite chose blottie dans un coin et qui couine en attendant le coup de grâce.  Il ne porte pas de nom, mais sa vie nous est racontée à la vitesse sidérante d'un page-turner. Ce livre, c'est Game of thrones au fin fond des égouts dans n'importe quelle ville du monde: fornication, naissance, faim, chasse, meurtre, inceste, anthropophagie, massacres, ce rat tuera son père, engrossera cent fois sa mère, verra périr des centaines de ses ratons, parfois les mangera par pure rage ou par nécessité, échappera à mille morts tendues par les hommes. Et il y a les chats, les rapaces, les chiens et .. les rats.

Zaniewski ne situe rien. Il montre les hommes tels qu'ils sont: cruels et opiniâtres, experts en pièges et inventifs en cruauté. Ils plantent des têtes de poissons empoisonnées un peu partout, parsèment les coins de cave de tranches de lard pendus à des bouts de ferraille qui leur brisent les reins, ébouillantent les rats piégés en rigolant. Des hommes qui se font dévorer par les rats lorsqu'ils sont isolés et trop faibles. Des hommes qui cherchent à attraper les rats pour les manger parce qu'il n'y a plus ni pigeon, ni chien ni chat à dévorer. Allez savoir s'ils ne se mangent pas entre eux, ces humains...

Ce qui est raconté dans ce chef d'oeuvre, qui a d'ailleurs eu bien des problèmes avec la censure à sa parution, et fut taxé à maintes reprises d'oeuvre immorale, a beau être éprouvant, ignoble, la véritable horreur surgit de cette acceptation qui finit par ouvrir les yeux du lecteur que Mémoires d'un rat ne parle que de nous, au final. Idée géniale qu'a eu Zaniewski de mélanger la destinée de cette engeance putride, de ces nuisibles à éradiquer à nos mythologies: ce rat nous rappelle à Ulysse, à Oedipe, à Sisyphe comme au Diable en personne. A moins qu'il ne soit, allez savoir, une incarnation christique de plus. Moment génial où les rats se figent dans cette ville portuaire à l'écoute d'un joueur de flûte qui ouvre ses fenêtres chaque soir. Et les rats cessent de courir, de chasser et de fuir pour l'écouter sous les réverbères. Mais en temps de guerre, un homme qui fait de la musique par plaisir n'est pas un homme: il se fait tabasser à mort par ses voisins. 
Cet instant étrange, et magnifique, où l'animal vient se poser contre la main de l'homme mort dont le jeu l'a enchanté, sans même songer un instant à le dévorer, est un de ces moments rares où un artiste vous montre combien l'art, par instants, peut importer plus que tout le reste. Et dans la catégorie joueur de flûte, parole de rat, Zaniewski est l'égal des plus grands. 

Signé: RongeMaille   

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