La collection Terres d'Amérique d'Albin Michel n'en démord donc pas : plusieurs fois par an, il faut qu'elle aille nous débusquer quelques jeunes pousses des lettres américaines qui se sont fait une réputation chez eux avec leurs premières short stories. C'est comme un rite de passage dirait-on, une sorte d'exercice obligé avant de s'atteler au format long du romanesque. Ou pas. Ecole de rigueur et d'assurance, qu'on soit américanophile ou américanophobe, force est d'admettre que la nouvelle est un format qui aujourd'hui leur appartient. Quand on a lu certains textes court d'Hemingway ou de Carson McCullers, on comprend mieux comment des écrivains comme eux sont parvenus par la suite à une maîtrise formelle et à un sens de la synthèse inouï.
Après les talentueux John Vigna, Karen Russell, Alan Heathcock, Tom Barbash et bien d'autres, voici Callan Wink. Né en 1984, ce jeune homme s'inscrit d'entrée dans les pas des très grands. Ses nouvelles proposent ce cocktail parfait, très Ecole du Montana (de nombreuses histoires s'y déroulent d'ailleurs), de grands espaces, de rapports conflictuels et fusionnels avec la nature, et de drames intimes faits de petits riens et de très grandes choses. Rien de nouveau sous le soleil du Midwest me direz-vous... Sans doute, mais ici, la maîtrise du texte, des descriptions et des sentiments sont absolument imparables.
Dans la première histoire qui donne son titre au recueil, un jeune huluberlu ouvre la grille d'un chien à la gueule sympathique pour s'enfuir avec lui, - il ne sait pas trop pourquoi -, deux gusses pas très nets à ses trousses. Là, un jeune homme qui doute un peu trop de lui se retrouve à partager la vie d'une femme mariée beaucoup plus âgée et de son gosse, alors que le mari, lui, traîne dans une maison de repos après avoir abusé d'antidouleurs. Un type qui joue chaque année le rôle du Général Custer dans une reconstitution de la bataille de Little Big Horn retrouve encore une fois sa maîtresse, une Amérindienne, qui elle incarne une squaw, comme tous les ans. Chaque soir, il doit penser à appeler sa femme, qui subit des séances de chimio.
Dans une des plus belles nouvelles du recueil, Dérapages, on suit le parcours chaotique de Terry, un jeune et grand costaud pas bien dégrossi qui vient de cogner à mort un homme au sortir d'un bar, mais son histoire nous est racontée via les rapports particuliers qu'il entretenait avec son grand-père, fin pêcheur de rivière et figure tutélaire bancale. La manière que possède Wink de nous raconter la formation d'un jeune homme avant, pendant et après le drame autour de cette simple relation est tout simplement magnifique.
De la même façon, la dernière nouvelle, sorte de roman miniature intitulée Regarder en arrière mérite amplement le qualificatif de chef-d'oeuvre. Pour raconter la vie toute entière de cette femme, Lauren, de son veuvage, de son amour perdu, de ses occasions ratées, de ses soucis de clôture, d'animaux domestiques, de maman malade qui perd la boule, de son beau-fils et de son berger allemand au comportement flippant, Callan Wink déploie alors un savoir-faire de vieux briscard qui, pour le coup, sied assez mal à son statut d'écrivain débutant. C'est tout simplement bluffant.
Curieusement, certains jeunes auteurs publiés dans cette collection ou chez d'autres éditeurs n'ont jamais été au-delà du premier recueil flamboyant. Et pourquoi pas, après tout ? En l'état, Courir au clair de lune avec un chien volé (quel titre, pas vrai ?) suffira amplement à asseoir la réputation de l'auteur, dont on attendra, aux aguets, les futures productions... Qu'il fasse moins bien à l'avenir ou mieux, ou rien du tout, peu importe. Mais celui-là, on le surveillera de près.
Signé: RongeMaille
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