Quand à quelques heures prés, tu reçois un sms de ton copain libraire avec la photo du dernier roman de Julia Kerninon, et puis qu'une connaissance s'arrête dans la rue, tape à la vitre du café dans lequel tu es, et sors de son sac, depuis derrière la vitre, le même dernier roman de Julia Kerninon avec un sourire entendu, tu te dis que tout n'est pas complètement foutu.
Alors, tu le procures et puis tu attends LE moment pour ouvrir une activité respectable.
Tu l'as tenu entre tes mains, tu l'as jaugé, défié (tiendras tu tes promesses ?), tu lui as tourné autour, tu as repéré en un clin d’œil qu'il est très court (60 pages), tu sais exactement combien de temps il te faut pour lire 60 pages......
Toutes les portes sont fermées, la nuit est tombée, ton téléphone est débranché, il est là LE bon moment.
Dès les premières lignes, tu sais. Tu sais que tu vas être envoyée dans les cordes de la manière la plus grande qui soit.
Avec Buvard, Kerninon t'avait fait passer deux nuits blanches, en apnée entre une écrivain diva, fatale, à la limite du toxique, écorchée s'il en est et un journaliste, jeune frêle et fort tout à la fois, à l'enfance saccagée, fan absolu de l'écrivain. Kerninon du bout de sa plume, t'avait offert de l'épique, de l’Arcade Fire en intraveineuse, ou du Dolan sous perf.
Un peu plus tard, elle t'avait trimbalée à Budapest avec Le dernier amour d'Attila Kiss, et posée, comme un vieux sac entre Attila et Théodora et là, du haut de ses 30 petits balais, elle t'avait expliqué que l'amour, cette rencontre, peut avoir ses stratégies, ses déploiements, et comment tout peut être historiquement et culturellement compliqué entre les deux protagonistes.
Dans une activité respectable - sans lettre majuscule- Julia Kerninon court dans les couloirs de sa mémoire. Comme une petite fille dévalerait les escaliers d'une très vieille maison. Elle fait apparaître sous nos yeux, la naissance de l'écrivain. Tout est fiction, tout est réel. Tout est souvenir, tout est hors du réel. Vertige.
Nous voilà présentés aux parents, à la sœur, aux grand-mères éblouissantes, pour un peu on les reconnaîtrait dans la rue à présent.
Kerninon construit son texte comme une progression chronologique, qui repose sur de très courts "chapitres". Tous correspondent à une étape de la fabrication de l'auteur. Elle y traite de l'importance du terreau - ou pas - de la fascination pour la culture américaine de ses parents, du fait de parler plusieurs langues, et de leur amour pour la lecture.
Et ce qu'il reste ce sont ces phrases feux d'artifice, à l'effet long et surpuissant.
Des phrases longues comme des couloirs de très vieilles maisons qui deviennent immenses dés lors qu'elles sont projetées par la mémoire de l'enfance, puis des phrases plus courtes, comme un coup de poing contre un mûr donné par la rage de l'adolescence.
Des phrases longues comme des couloirs de très vieilles maisons qui deviennent immenses dés lors qu'elles sont projetées par la mémoire de l'enfance, puis des phrases plus courtes, comme un coup de poing contre un mûr donné par la rage de l'adolescence.
Elle nous fait passer de la petite fille têtue, à la jeune femme folle d'ivresse face à la découverte de son être au monde - l'écriture-
elle traîne puis virevolte,
elle convoque nos enfances, et fait écho aux révolutions des premières fois
et nous laisse ko, les épidermes retournés les yeux fermés face à nos propres portes closes. Face à nos portes ouvertes.
"Maintenant, mes livres sur des étagères de librairies paraissent logiques, évidents, on peut s'en servir pour justifier tous mes manquements, mais je me rappelle du moment où mes failles n'avaient pas encore d'explication, où il était possible qu'elles n'en aient jamais, et que je reste pour toujours à la porte de ce qui est important".
Il n'est pas de hasard. Non, il n'est pas de hasard.
Très joli billet.
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