Eh oui, ça sent le sapin ! Voici l'heure de se triturer les méninges à la recherche du cadeau parfait et inattendu que vous êtes à peu près sûr d'être le ou la seul(e) à avoir repéré sur les tables bondées de votre libraire préféré. Et que diriez-vous d'un almanach littéraire, pour changer ? Au lieu du rituel calendrier Pompiers & Chatons ou des douze toiles mensuelles d'Edward Hopper à moins que ce soit Van Gogh, ou Munch, qui déprimeront votre cuisine chaque jour de l'année... Et pourquoi pas en lieu et place de l'infernal Almanach Vermot et de ces joyeuses blagues de carabin, que pensez-vous d'un almanach fantaisie et érudit qui vous en apprendra plus sur notre monde que la totalité des numéros du Point de l'année écoulée ?
C'est à Evelyne Pieillier, journaliste et femme de lettres, passionnée de littérature, d'histoire et de rock'n'roll que l'on doit ce objet en tout point insolite, un livre que vous finirez par laisser sur un coin de commode, de table de nuit, voire en compagnie de vos livres de cuisine, et que vous vous surprendrez à parcourir au hasard de ces moments égarés que les braves gens appellent: temps perdu. Découpé en fines tranches disgressives ("Les disgressions ont le charme des départementales: elles vont moins vite que l'autoroute, mais on voit beaucoup mieux le paysage" écrit-elle d'ailleurs quelque part), L'almanach des réfractaires se décompose évidemment en mois (il y a des règles, tout de même), mais aussi en rubriques aux dénominations intrigantes (Leçon de désobéissance, For members only, La vie qui va, Lumières, bistrots et terrains vagues ou encore une délicieuse Minute méditative qui vous plonge effectivement dans des puits de réflexion - ou d'abattement - sans retour).
Qu'est-ce qu'un almanach ? Les dictionnaires nous expliquent qu'il s'agit d'une publication annuelle contenant des renseignements divers. C'est tout ? Autrement dit, ne tient-on pas ici la forme littéraire la plus libre qui soit, ou du moins parmi les moins astreignantes, où chacun peut laisser libre expression à ces humeurs comme à ses connaissances ? Evelyne Pieiller a beau nous parler ici de Jacques Cartier, Giordano Bruno ou Théophile de Viau, des troquets de Montmartre ou de la Cour des Miracles, des testaments de Stendhal comme des humeurs de Cézanne, des sensations vécues lors d'un concert de rock ou d'une horrible note émanant de la Préfecture de Paris juste après la rafle du Vel'd'Hiv, rien ne parvient à masquer la personnalité véritable de l'auteur qui aura rassemblé tout ça au petit bonheur, la chance.
Evelyne , on vous aura donc devinée: l'érudite et grande lectrice qui se présente sous les pages de ce joli volume (faut-il encore le dire, les éditions Finitude fournissent toujours un travail d'édition soigné) nous sera donc finalement plus proche, plus vraie que n'importe quelle auteur auto-fictionnée qui nous raconterait ses malheurs, ses bonheurs, ses amours, ses tralalas, ses tralalères. Et si, dans les chroniques intitulées La vie qui va (extraits), l'auteur se livre un peu, quand même, mais par touches infimes, c'est pour mieux exercer son art de la litote et de l'esquive. Un léger soupir par ci, un triste sourire par là, ajoutés à tout ce qu'elle aime, à ces instants de la grande ou de la petite Histoire qui la touchent ou lui posent question, à toutes ces admirations artistiques, et on obtiendra une sorte de portrait chinois que tout lecteur attentif se prendra vite en affection.
Qu'Evelyne Pieiller soit une auteur, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Il suffit de la lire pour se rendre compte de quel acabit est la dame, ainsi que sa prose:
"Il n'y a pas de quoi se vanter, d'écrire. C'est comme être monogame."
Belle plume, belle âme et grande journaliste: on pouvait la lire le mois dernier encore dans les colonnes du Monde Diplomatique dans un article très fort sur les ultranationalistes en Hongrie.
Merci à Evelyne Pieiller de ne pas oublier nos petits souliers l'année prochaine, car on aura alors encore plus besoin de consolation qu'aujourd'hui, je le sens, je le sais.
Signé: RongeMaille
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