Minnow, - quel drôle de prénom, n'arrêtera-t-on pas de lui dire tout au long de sa folle aventure -, signifie à peu de chose près: petit poisson, menu fretin. Et ce qu'il va vivre tout au long de ce roman complètement fou va justement le confronter à son statut de petite chose. Nous voilà en Caroline du Sud, dans cette région bordée par l'Océan Atlantique où les gens de rien vivent dans des cabanes au bord de l'eau, et ne vivent que de la pêche, s'ils en vivent... Cela se passe de nos jours, sans doute, mais leur dénuement est tel que cela pourrait se passer au siècle dernier, lors de la Grande Dépression par exemple, tant les marques d'une quelconque modernité sont absentes. Le père de Minnow est gravement malade, et ce gosse qui n'a peur de rien s'est juré de lui ramener le remède qui le sauvera.
Un pharmacien peu loquace va l'envoyer chez le fameux Docteur Crow. Lequel va l'expédier très loin dans les terres lugubres des Sea Islands à la recherche de Sorry Georges, descendant d'un sorcier vaudou responsable, il y a des années de cela, d'un terrible carnage : un de ses sorts maléfiques aurait tué plus de cinquante personnes. Sur sa tombe, Minnow devra soutirer quelque poudre magique et la rapporter chez lui.
Le périple de Minnow sera long. Il y croisera un chiot qu'il sauvera de gamins sadiques et deviendra sa mascotte, un alligator géant attendant là comme le gardien d'une frontière invisible, des chasseurs de nègres peu diserts, une tribu perdue au fin fond des marais qui semble vivre là comme à l'aube des temps, une horde de sangliers sauvages qui voudront sa peau, un guérisseur, des gens qui vont l'aider, le nourrir et le soigner. Avec comme point d'orgue un terrible ouragan, - Kathrina peut-être ou une de ses affreuses petites sœurs -, une vague immense qui saccagera absolument tout, le déluge et l'enfer. Les serpents se seront réfugiés dans les arbres, dont ils dégringoleront en grappes grouillantes, des chalutiers se retrouveront couchés sur le flanc au milieu des terres, des cadavres partout, pourrissant au soleil, dans l'eau croupie comme dans le flot des bras de mer qui encerclent les îles.
Quel livre ! Quel conte effarant, qui renvoie autant aux peurs primales qu'enchantaient les histoires cruelles des frères Grimm qu'aux plus terribles passages de l'Apocalypse. Nous sommes dans le Deep South, territoire pauvre et sauvage, imprégné de religion et de magie, de magnificence et d'horreurs sans nom. Minnow c'est un peu, bien sûr, Huckleberry Finn égaré en territoire vaudou mais dont les exploits ne seraient plus racontés par un illustre écrivain plein de verve et d'humour, porté par un amour certain du genre humain, mais par un narrateur effrayé lui-même par la puissance et le pouvoir de destruction de la nature.
On pense beaucoup au Sud des bêtes sauvages, ce film de Behn Zeitlin qui nous montraient la (sur-)vie de gens peu ordinaires habitant, de nos jours, les bayous de Louisiane dans des conditions incroyables, loin de toute civilisation, ou à cet autre conte cruel filmé à hauteur de gosse par Jeff Nichols, Mud, dans lequel des gamins aventureux découvraient un bateau perché dans les arbres, sur une île déserte (ici, c'est le squelette d'un cheval accroché dans les branches qui sert de repère à un carrefour), intermède merveilleux pour aventuriers en herbe qui s'achevait là aussi dans le bruit et la fureur.
Autant Minnow est marqué par cette appartenance à une famille de grands romans américains, qui va de Mark Twain aux premiers romans de Truman Capote, en passant par Carson McCullers ou Flannery O'Connor, autrement dit à une certaine forme de roman d'apprentissage, autant il se démarque sans problème de cette glorieuse parenté par la force symbolique de ce périple qui ne craint jamais de se frotter au magique comme au merveilleux.
Voici donc le premier roman de James E. McTeer II, mesdames et messieurs, et il serait étonnant qu'on en reste là avec lui. Premier roman, coup de maître.
Signé: RongeMaille
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire