Il n'y a pas bien longtemps, une de nos éphémères gloires nationales s'affichait sur les réseaux sociaux, en compagnie de bons amis, en train de poser, hilares, auprès de quelques grosses bêtes abattues par ses soins (et à distance semble-t-il, car figure parmi ses trophées un ours de belle taille). Ce grand ami de la vie sauvage et des activités de plein air, qui fut en son temps champion olympique de ski alpin et, plus tard, plusieurs fois participant à cet autre grand rallye écolo que fut le Paris-Dakar (500 connards sur la ligne de départ... comme chantait l'autre énervant), a depuis voulu tout effacer mais, comme on le sait, une fois pris dans la Toile, difficile de s'en tirer à si bon compte.
Alors bon, me direz-vous, il y en a d'autres de ces candidats raisonnablement friqués qui peuvent se permettre d'aller chasser le grand fauve en Afrique sans plus se soucier du qu'en dira-t-on, et encore moins des quotas de chasse car, faut-il le rappeler, nous sommes dans un monde où tout se paie. Et, crénom, si on possède tout cet argent, c'est qu'on l'a bien mérité.
Ce grand champion, ce héros, que nous appellerons Grosluc (large torse, visage tanné par le soleil, barbe bien taillée, sourire tout en dents blanches, gros cuissots), aurait pu être un des deux sinistres personnages qui ouvrent l'essai de Jean-Luc Porquet.
On y vit les dernières heures du dernier couple de grands pingouins sur l'île d'Eldey, en 1844, lorsque quelques islandais y débarquent afin de les zigouiller pour deux taxidermistes de leurs clients. La tâche n'est pas trop ardue, le grand pingouin étant un pataud des glaces assez froussard et peu agressif (attention à son grand bec, quand même), et se contentent de les étrangler. Pas de trou, pas de tâche, du travail de pro. En repartant, bien sûr, l'un d'eux marche sur le dernier œuf de grand pingouin que la femelle couvait. Voilà, c'est terminé, une espèce en moins.
Lettre au dernier grand pingouin est effectivement un exercice épistolaire puisque l'auteur, tout au long de l'ouvrage, s'adressera à lui sur le ton navré de celui qui sait que cela a du être dur, et qui, en plus, sait parfaitement ce que l'Humanité a fait subir, depuis la grande révolution industrielle de la fin du XIX° siècle, au reste du règne animal. Jean-Luc Porquet n'est rien de moins qu'une des grandes plumes du Canard Enchaîné, spécialisé dans les problèmes d'écologie et d'environnement (entre autres) et sait donc de quoi il parle. Se décrivant lui-même comme un archiviste compulsif, découpant dans la presse tout ce qu'il trouve sur telle espèce en voie d'extinction, sur telle catastrophe environnementale et ses conséquences sur les milieux naturels, il n'hésite pas à dégainer foultitudes de chiffres qui finissent de plonger le lecteur dans les affres de la honte la plus sincère.
Car ce que raconte cet essai, ça n'est rien d'autre que le début de notre fin. A ceux qui contestent aujourd'hui ces théories catastrophistes, épaulés par des scientifiques eux-mêmes rémunérés par les industries pétrochimiques, il envoie quelques pics sévères :
« Tout comme il est aujourd'hui impossible, malgré Claude Allègre et l'activisme des lobbies industriels, de nier la responsabilité de l'homme dans le réchauffement climatique, il sera bientôt impossible de nier qu'il est le principal auteur de la sixième extinction en cours ».
On commence à parler d'ère anthropocène pour qualifier les millénaires sur lesquels nous régnons. Bravo à nous. Au Canard, on a la gâchette facile mais on sait de quoi on parle. Dans cette lettre peu consolatrice (tu vois pépère, tu n'es pas le seul à t'être fait décaniller comme un malpropre) à cet animal disgracieux mais qui fait toujours rire les enfants (leurs dépouilles rencontrent de francs succès dans les muséums d'histoire naturelle), et si on est juste atterrés par ce que nous infligeons aux autres espèces aussi bien qu'à nous-mêmes (attendez de voir, pour les abeilles...), on est tout aussi surpris par le calme avec lequel Porquet égrène son chapelet mortuaire. Car on comprend assez vite, avec lui, que la partie est jouée depuis des lustres et qu'à moins d'un brusque serrage de frein à main... mais ça n'arrivera jamais.
Tout juste entrevoit-on lorsqu'il parle de Paul Watson, flibustier écologiste de Sea Shepard qui n'hésita pas à couler un baleinier pour faire respecter quelque accord international sur lequel les industriels n'hésitent à s'asseoir, une admiration sincère et une envie d'aller en découdre avec tous les Grosluc de la Terre.
Dans son génial et drôlissime Gang de la clef à molette, le romancier Edward Abbey avait imaginé une sympathique bande d'énervés bourrés d'imagination faisant sauter les caterpillars sur les chantiers de construction de grands barrages, des hommes et des femmes prêts à tout pour qu'aucun banquier, aucun industriel, aucune armée ne vienne massacrer les grands espaces vierges des Etats-Unis. Il est peut-être tard pour s'y mettre, mais il serait temps...
Oui, Grosluc a le droit de buter un grizzly avec son fusil à lunette gros calibre, c'est en effet moins dur, pour plaire aux filles, qu'un corps à corps au couteau Rambo avec ces grosses bêtes soupe-au-lait. La mer est à tout le monde, alors j'ai le droit de faire mon beurre avec tous ces poissons dedans. Mes pesticides sont bons pour la récolte du maïs et du soja, alors au diable ces abeilles, quoi, vous m'embêtez.
Continuons comme ça, semble expliquer, navré, Jean-Luc Porquet au dernier grand pingouin dont il nous aura raconté la longue et douloureuse histoire. Dans le détail, c'est vrai que l'odyssée de cette espèce est horriblement triste et cruelle. Je vous laisse la découvrir, elle est incroyable. Ce n'est ni la seule, ni la plus terrible, et encore moins la dernière.
La plus ridicule cependant, loin devant celle du Dodo de l'Ile de Pâques dont tout le monde s'est bien moqué, ce sera certainement la nôtre. Les grands maîtres incontestés de l'ère anthropocène, seul et unique instigateur de la sixième grande extinction des espèces (série en cours), ne survivront pas eux-mêmes à la catastrophe. Encore bravo à tous les Groslucs qui nous entourent.
Et puis, si le grand pingouin, d'où il est, aura trouvé le moindre réconfort à la lecture de cette lettre bourrée d'affection pour lui et ses semblables...
Euh non, RongeMaille
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire