04/04/2023

JE VERRAI TOUJOURS VOS VISAGES de Jeanne Henry

Quand de citoyen lambda avec un métier lambda, tu te retrouves un jour à entrer dans l'univers carcéral pour y apporter une contribution, il peut y avoir diverses raisons.

Comment un état utilise son argent pour "punir"? Comment fabrique t-on une zone de non-droit ? A quoi ressemble une zone de non-droit ? Qui sont celles et ceux qui un jour sont passés à l'acte? Qu'est-ce qu'être enfermé veut dire ou encore, peut on ramasser des "pardons" dans les couloirs ? Peut on lire des "pardons" sur des rétines même s'il s'agit de "pardons" impersonnels et universels ? Allez savoir.

Voilà quelques éléments subjectifs qui peut-être, peuvent faire partie des raisons pour lesquelles, un jour, de ta place de citoyen lambda tu te retrouves à apporter une contribution en prison.

Une fois que tu as vu, alors, peut-être tu cherches, à comprendre, à savoir si d'autres pays font mieux. Tu te mets à chercher ce qu'il existe en matière de justice, de réparation pour les uns, pour les autres. Est-ce que la réparation existe, est-ce que la justice existe ? Ce genre de questions,

Et d'ailleurs avant que j'en vienne à Je verrai toujours vos visages, deux films sur le sujet m'ont profondément modifiée.

Le premier s'intitule La liberté - Casabianda prison "ouverte" et il s'agit d'un film documentaire réalisé par Guillaume Massart qui montre de l'intérieur un modèle particulier de prison, et dresse un portrait (je ne cherche pas le qualificatif, cela me semble vain) d'un des hommes détenus dans cette prison particulière. Ce film là, fait partie des choses majeures qui me sont arrivées dans la vie en matière de "réparation et de justice.

Le second est aussi un film documentaire (on sous estime la puissance de ce genre je crois) et il s’appelle En bataille, portrait d'une directrice de prison, réalisé par Eve Duchemin. Comme son titre l'indique, il nous permet d'approcher de très prés, de rencontrer une femme, jeune, dont le métier - directrice de prison donc - constitue quasiment la totalité de sa raison d’Être, de cette jeune femme.

Si le sujet vous intéresse, vous voilà donc avec deux références supplémentaires, à moins que vous n'ayez déjà vu ces œuvres, ces travaux, essentiels en la matière.

Ceci étant dit, je peux essayer de partager à présent, ce que j'ai vécu hier soir quand j'ai vu Je verrai toujours vos visages réalisé par Jeanne Henry, porté merveilleusement par Adèle Exarchopoulos, Dali Benssalah, Leïla Bekhti, Élodie Bouchez, Suliane Brahim, Gilles Lellouche, Miou-Miou, Jean-Pierre Darroussin, Fred Testot, Denis Podalydès, Birane Ba, Anne Benoît et Sébastien Houbani.

Le film donne à voir ce qu'est la justice restaurative, qui est une alternative balbutiante en France, en place dans d'autres pays, et qui propose une manière tellement plus humaine, fine, complexe, intelligente, fragile, de réinsérer, prendre en charge, des victimes de violences, de délits, et des auteurs, des criminels, des assassins, des toxicomanes, etc.
Je ne vous dévoile pas le dispositif, je vous laisse découvrir.

Ce que je tiens par contre à dire, c'est que la puissance du film réside dans le fait qu'on comprend enfin que la justice, la réparation, le pardon, l'écoute, sont l'affaire de tous. Et que faire société, c'est cela en somme.
Quand dans une scène d'une intensité difficilement soutenable, une victime de crime sexuel peut enfin demander à son agresseur, son frère, "est-ce que tel matin (il y a des années de cela), quand je suis entrée dans la cuisine, et que maman et toi vous êtes interrompus, est-ce que cela veut dire que maman savait ?", et que l'agresseur, peut enfin, déposer un aveu en baissant la tête et pleurant, après avoir purgé sa peine de prison, alors, oui, on assiste à une réparation que l'on n'attendait plus. On devient le témoin universel et particulier de ce que la justice, ne sait pas, ne peut pas faire. On réhumanise l'un et l'autre, on touche du doigt les deux souffrances. Cela ne veut pas dire que l'on puisse comprendre les deux points de vue. Cela ne veut pas dire que ces deux humains là ne porteront plus les stigmates du crime, mais on est réparé. Un peu, quelque part. A l'instar de cette Leïla Bhekti qui soulagée de pouvoir déposer ce que les autorités ne lui ont jamais demandé et déclare après la parole écoutée par elle d'un auteur de cambriolage : "c'est comme si tu venais d'enlever 50 kilos de mes épaules".

Ajoutez à cela, que la film donne à voir aussi, des humains vieillissant, des visages ridés, magnifiques, des hommes et des femmes., forts et vulnérables dans ce moment de leurs vies. Ajoutez à cela qu'une fois de plus, on prend la mesure de ce que peut la société civile. Ajoutez à cela que ça redonne foie en l'humain dans un moment de l'histoire où on préfère se nourrir de sombre, d'abyssalement absurde, de radical et de violent en permanence.

Nous ne sommes pas que les simples 1 et 0 que l'on préférerait que nous soyons. Tellement pas.
Alors, merci à cette artiste réalisatrice et son équipe entière. Merci à celles et ceux qui se bagarrent pour que la justice restaurative arrive et s'installe en France. Merci.

MP Soriano aka Range Le Sas.






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