05/10/2020

CHIENNE de Marie-Pier Lafontaine

Quand on referme un livre et que l'on cherche directement qui a eu le cran d'éditer un texte pareil - et qu'en plus cela arrive deux fois en peu de temps - alors on sait que l'on comptera désormais avec cet éditeur. Ici, il est question du Nouvel Attila

Non seulement ils ont publié Querelle de Kevin Lambert qui l'an dernier, a résonné comme une déflagration dans mes lectures (enfin une parole de révolte sans la moindre compromission !) mais aujourd'hui ils sont aussi ceux qui éditent Chienne de la canadienne Marie-Pier Lafontaine.

 Et là, arrêtez tout.

Chienne est un roman sur la violence faite aux femmes et faite aux enfants. Un roman là encore sans la moindre compromission. Un roman violent, qui rend la violence de la première à la dernière ligne. Une violence que nous ne savons pas regarder droit dans les yeux. Peut-être (et c'est moi qui le dis !) encore moins quand elle nous vient d'une femme.
Et pourtant. Et pourtant qui de mieux que la victime pour écrire, dire, restituer, et finalement transformer cette violence en un roman, transformer le cauchemar en fiction, tout en respectant et le degré d'intensité du cauchemar et le degré ultime d'écriture.

Lafontaine a réussi le tour de force d' allier les deux. Et le résultat est à la hauteur du cauchemar. Il ne s'agit pas d'une lecture facile. Est-il facile de prendre des coups et de se faire humilier nuit et jour ? 

Il ne s'agit pas d'un témoignage. Chienne est un roman sacrément bien écrit, qui prend sa force dans la répétition. Tout comme le cauchemar se répète, l'écriture suit ce rythme. Et nous traversons le roman avec des hauts le cœur, en plissant les yeux, en serrant les poings et en ravalant des larmes. Et le phénomène ne s'arrête pas, pas de répit, pas de repos. 

Sur ce point précisément, l'éditeur a su prendre sa place. Nous tournons des pages aérées. Le texte est court comme un coup porté, centré au milieu de la page. Quand l'asphyxie se fait sentir, tout ce blanc autour des signes noirs, serrés, offre une respiration. Un travail d'équipe.

Comment est-ce encore possible que des vies soient sacrifiées à ce point juste parce que les dés de départ ont été jeté et qu'ils sont si mal retombés ? 

Passé l'étape de la sidération, c'est la puissance de l'écriture qui reste. Tatouée je veux dire. Reviennent alors, deux romans lus précédemment qui ont le mérite d'avoir su "écrire" l'indicible avec autant de force. Le syndrome du Varan de Justine Niogret, et Au pays de la fille électrique de Marc Graciano.  Un corpus naît en somme, en même temps que d'autres "se lèvent et se cassent" je regarde fièrement cette époque au cours de laquelle des gens se mettent à se tenir droit. Se mettent à parler, à écrire, déclarer, se mettent à pousser la porte des grands médias, de tribunaux dont on attendrait qu'ils fassent leur boulot. Je repense à la phrase de la journaliste Titiou Lecoq "Tu n'es pas seule (...) nous sommes légions (...)" et la colère gronde. Fort. Au dedans.

"Il y a tout un pan de la violence que je ne me résous pas à écrire. Ça en ferait trop. Trop de violence dans le même livre. On se dira que j'ai exagéré ou menti. Et toutes les personnes qui me diront que j'ai exagéré ou menti seront mon père. Je ressentirai l'urgence, à chaque fois, de leur planter un couteau dans la gorge"

Une auteure est née, une écriture est entrée de façon fracassante, une voix résonne. Je me lève aussi et attends votre prochain roman madame Lafontaine.  

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1 commentaire:

  1. Bonjour, je voulais juste apporter une petite précision. Ces deux livres ont d'abord été édités chez Héliotrope https://www.editionsheliotrope.com, maison d'édition québécoise et repris par les éditions Nouvel Attila ce qui n'enlève rien à la pertinence de leur choix éditorial. Cordialement

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