19/06/2015

EN TETE A TETE AVEC ORSON Conversations entre Orson Welles et Henry Jaglom


Henry Jaglom fut le plus grand ami d’Orson Welles durant les dernières années de sa vie jusqu’à ce que le grand homme, comme le raconte avec beaucoup d’émotions Jaglom lui-même, ne soit retrouvé affalé sur sa machine à écrire portative sur laquelle il tapait, et retapait, les trois ou quatre scénarios dont plus personne ne voulait.

Ses dernières années, c’était à peu près uniquement ça: essuyer des refus de partout, et composer avec un milieu qui avait fini par le mépriser et par le fuir. Il faut dire que le bonhomme n’était pas facile ni à vivre, ni à suivre, et qu’il avait fini par dresser une liste très importantes de personnes dont il ne voulait plus entendre parler, et de choses qu’il ne voulait plus faire. Faire semblant de s’accommoder des imbéciles faisait bien entendu partie de ces choses-là.
Ces « conversations » se tenaient dans un célèbre restaurant de Hollywood, le micro planqué sous la table. Welles se savait enregistré, mais ne voulait pas voir l’engin. Plus que des discussions, ce sont plutôt d’incroyables monologues qui sont retranscrits ici, tant la faconde de Welles était énorme. Ainsi on peut l’écouter parler de théâtre, d’histoire antique ou de l’âge d’or de Hollywood avec passion. L’homme possédait une culture et une mémoire prodigieuses, et on comprend assez vite combien le terme de génie, en ce qui le concernait, était loin d’être galvaudé.
Comme d’autres vieilles ganaches de sa génération, Welles tenait quelques rancunes tenaces: Charlton Heston, John Houseman, Peter Bogdanovitch et bien d’autres en prennent pour leur grade. Les passages où il se paie Jack Lang ne sont pas mal non plus. Il gardait quelques affections émues pour Joseph Cotten, Marlène Dietrich, Barbara Stanwyck ou Rita Hayworth, dont les derniers jours de leur tumultueux mariage sont racontés de manière étonnante.
Le réalisateur avait aussi des idées bien tranchées sur à peu près tout. Il faut l’écouter par exemple assassiner Jean Renoir pour la plupart de ses films, et porter aux nues « La grande illusion », ou encore émettre les théories les plus saisissantes sur tout et n’importe quoi. Immanquable, sa démonstration des origines du salut nazi est un grand moment de délire absolument jouissif  (le responsable en était selon lui Cecil B. DeMille et ses péplums des années du muet, dans lequel les comédiens exécutaient le salut romain n’importe comment).
Quoi qu’il en soit, et au terme de ses pages dont le cinéphile moyen ne saurait se repaître sans une délectation véritable, on aura passé quelques sacrés moments à la table de cet homme à l’abattage démesuré.

Signé : RongeMaille

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