ENTRE LES JAMBES de Huriya

 Il est des romans qui changent les vies.

Le Marin de Gibraltar de Duras, Les enténébrés de Sarah Chiche, Thésée, sa vie nouvelle de Camille de Toledo, ou Fugitive parce que reine de Violaine Huisman, ou encore L'enfant de sable de Tahar Ben Jelloun (pour ne citer qu'eux)

Certains sont des portes ouvertes sur des ailleurs, des ailleurs de nos ici et maintenant, des portes ouvertes sur un ou une Autre, l'autrice, l'auteur, comme une rencontre. 

 

D'autres sont de véritables caisses de résonances et déposent des mots justes sur des maux réels.

Et puis il en est qui sont les deux. Les "tout à la fois".

Entre les jambes (Le Nouvel Attila)  de l'autrice marocaine Huriya fait partie de ceux-là.

Dans son roman, Huriya nous met face à cet enfant, laissé par sa mère chez ses parents dans une scène d'une violence désespérante pour cet enfant. Désespérante pour celleux qui y assistent muet.e.s. Nous les lecteur.ices.
Une grand-mère marocaine, berbère. Un grand-père français.
La dualité comme racine, comme terreau, le double comme identité. Le mensonge comme religion.
France Maroc.
Religion athéisme.
Bruit et fureur, silence absolue d'une bibliothèque sauveuse d'âmes, celle du grand père.

L'enfant sera baptisé Moulay Saïd par la grand-mère. Sauvé de la circoncision par elle aussi. L'enfant grandit, tiraillé entre ses deux grands-parents et cette guerre qu'ils rejouent à l'infini. L'enfant grandit et apprend à esquiver, à grimer, à travestir, à mentir, à se fondre, à se taire. Ils regardent les femmes tricher et les hommes abuser de leur pouvoir.
Cette culture, pour moitié la sienne, qu'il nous offre à travers ses yeux, son regard : perçants.

La grand-mère meurt, ironie du sort, elle doit rentrer en urgence de la Mecque pour mourir dignement chez elle. La première partie du roman s'achève. 

La grand-mère est morte vive la grand-mère et Moulay Saïd aussi en quelque sorte.

Quand la seconde partie du roman s'ouvre, le souffle s'ouvre aussi. Les poumons, les seins, les lèvres, l'air circule. La narratrice rencontre Paris, rencontre son métier, rencontre la médecine, mais au-delà de tout, elle se rencontre elle. 

 

Entre les jambes est un roman d'une beauté à couper le souffle. Le témoignage littéraire réussi à l'extrême de ce que veut dire être née intersexe au Maroc dans les années 70.
La langue d'Huriya est splendide, incandescente souvent, affutée tout le temps, puissante. Le roman est subjuguant. Juste subjuguant. 

En toute subjectivité, en musique, je vous le dirai bien comme ça : 

 

MP Soriano aka Range Le Sas