Terry Hopper est un type opiniâtre, têtu. Il est historien de formation et ce qu'il vient de dénicher dans un vieux bouquin intitulé Voyages dans l'Arabie déserte, ayant appartenu à son père le turlupine un peu... Un mot doux, une écriture de femme... Opiniâtre, têtu, son père Mack Hopper l'était bien plus. Agent de la CIA dans les années 50, il trimbalait sa petite famille d'affectation en nouveaux lieux, avec un égal dévouement à sa mission. Sous couverture diplomatique bien sûr. Terry se souvient quels trésors de persévérance son père déploya pour être du jour au lendemain dans les petits papiers du roi du Korach, souverain à peine âgé de 20 ans, arraché à ses riches études en Angleterre après l'assassinat de son père. Jusqu'à devenir un de ses confidents les plus intimes.
L'Amérique s'inquiète... Que pourra ce petit roi d'un pays anecdotique, sans puits de pétrole ni de poids politique quelconque, coincé entre la Syrie, l'Irak, le nouvel Israël tout proche et honni par tous? Que pourra ce jeune homme pourtant fin et intelligent avec ces trois avions de chasse, héritage de l'ancien protectorat britannique, ces bidonvilles peuplés de réfugiés palestiniens, son joli palais, ce désert sans fin peuplé de tribus bédouines qui se haïssent depuis la nuit des temps, sa capitale Hamzah et son souk si typique?
L'Amérique fronce le nez car l'Egypte de Nasser commence à déployer son rêve pas si fou de pan-arabisme se déployant par-delà tout le Moyen-Orient. L'Amérique se voit déjà face à un deuxième front sur la mappemonde de la guerre froide avec le socialisme irréductible porté par le parti Baas et ses émules, dans tout le golfe Arabique. L'Amérique ne voit pas encore que s'agitent derrière ces discours belliqueux à l'égard de l'Occident les ombres sournoises des Frères Musulman qui rêvent la quintessence de tous ces espoirs sous la bannière d'un Islam irréductible.
Au Korach, les hommes portent des tenues décontractées et sportives, chemises blanches infroissables et teint hâlé, un verre de martini à la main, une Chesterfield dans l'autre. Les femmes se servent des tonics sous les ombrelles.
Le Korach n'a jamais existé mais il faut bien avouer qu'il aura fallu s'en assurer pour en être sûr. Sorte de synthèse de la Jordanie, d'Amman ou du Koweït, Henry Bromell l'a pourtant bien connu: son père était agent de la CIA en poste dans ces années-là dans plusieurs pays, il fut même témoin du coup d'état irakien en 1958. Non seulement sa restitution de l'époque est sûre, rendant à merveilles l'atmosphère comme les saveurs de ces pays d'avant les grandes révolutions, mais au-delà d'une nostalgie véritable propre aux souvenirs de l'enfance, elle s'accroche toute entière à cette figure paternelle dure et silencieuse dont Terry va devoir arracher les secrets bribe par bribe.
Little America est tout d'abord un roman à la construction virtuose, glissant en une phrase de l'investigation du fils dans l'Amérique d'aujourd'hui vers cette année 1958 où un roi fut trahi, puis assassiné, et son royaume partagé comme un biscuit par une Syrie vorace et un Irak sans merci. Par la faute de qui, pourquoi, avec la complicité ou pas de ce père aux réponses retorses qui semble mâcher son incertitude à l'infini ? Est-ce d'ailleurs de l'incertitude, ou la honte d'un secret impossible à avouer?
Roman d'espionnage à l'ancienne, porté par un véritable McGuffin dont le lecteur ne connaîtra la véritable nature que dans les toutes dernières pages, Little America n'est pas un roman passionnant que pour ça. Il l'est surtout par la persévérance de cet homme qui veut tout d'abord savoir qui était réellement son père. Et sur les deux facettes de son livre, sur ces deux enquêtes qui finalement ne font qu'une, Bromell maîtrise son sujet avec maestria. On croit lire parfois un John Le Carré premier genre, autant fasciné par l'intelligence de ses protagonistes qu'horrifié par la violence froide et jamais nommée qu'ils utilisent.
Le bandeau du roman que sort aujourd'hui Gallmeister clame "Le grand roman du créateur de HOMELAND". Ce qui vaut la peine d'être rappelé aussi, en plus de ce titre de gloire certes pas volé, c'est que Henry Bromell fut le réalisateur d'un seul film (mais quel film !), Panic, dans lequel un William H. Macy hagard officiait comme tueur à gage au service de sa vieille carne de père (campé avec délice par un Donald Sutherland royal).
Nul besoin, parfois, d'être Grand Psy pour déceler les réelles obsessions d'un auteur.
Signé: RongeMaille
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