05/02/2016

BALLADE POUR LEROY de Willy Vlautin

En tant que Président Directeur Général du fan-club de Willy Vlautin, que je considère comme le meilleur écrivain américain à avoir émergé ces dix dernières années, force m’est de reconnaître que Ballade pour Leroy n’est peut-être pas son meilleur livre. En dessous, sans doute, de cette merveille que fut Cheyenne en automne (paru en 2012 aux défuntes éditions 13ème Note, et hélas épuisé), mais sûrement au niveau ce ses deux premiers opus, Motel life et Plein Nord. Ce qui le place, du coup, bien loin devant tout le monde…
Il faut savoir que Vlautin est d’abord le leader d’un groupe de country-folk progressif (si, si, ça existe), qui s’est fait une réputation aux Etats-Unis, les Richmond Fontaine. Pour se faire une idée, imaginez un mélange de douceur et de mélancolie brute à la Steve Earle. Un genre de Willy Nelson mélangé au Springsteen des débuts, celui de Nebraska. Douceur et mélancolie sont sans doute les termes qui définissent le mieux le style de cet écrivain qui parle de ce qu’il connait sur le bout des doigts, à savoir le monde des laissés-pour-compte de l’Amérique de toujours. Ce qu’une sociologie péjorative a qualifié il y a longtemps de communauté white-trash, un monde sur lequel, justement, ont mis la main des écrivains prestigieux comme Harry Crews, Hubert Selby Jr ou l’immense Larry Brown… et Steinbeck. Mais plutôt qu’en décrire la noirceur et la misère crasse jusqu’au misérabilisme le plus outrancier, plutôt que d’emmener ses personnages vers la violence du roman noir, Vlautin les couve d’une affection profonde et fait entendre leurs voix brisées sans porter sur eux le moindre jugement.
Pourtant, comme dans ses romans précédents, on peut croire que Vlautin charge la barque: Leroy est un jeune soldat qui a sauté sur une bombe en Irak, et qui végète dans son lit d’hôpital après une tentative de suicide manquée. Pauline est une infirmière qui essaie de porter une attention à tous les malades dont elle s’occupe et plus particulièrement à une jeune routarde dont ses compagnons abusent. Et Freddie cumule les boulots pour payer ses dettes, régler la pension alimentaire de son ex et garder l’espoir à la fois de garder sa maison et de revoir ses deux filles un jour. Avec ça, Vlautin vous raconte une Amérique qui se bagarre contre la violence du quotidien, qui roupille dans des squats ou dans des duvets à bord de voitures en panne, préfère se chauffer avec des planches récupérés sur les chantiers plutôt que de payer ses factures de gaz, carbure au café et aux boissons énergisantes du soir au matin pour ne pas s’endormir au boulot, encaisse la bêtise des uns, l’arrogance des autres, la folie de certains, et y retourne.
Dans les romans de Willy Vlautin, un rien suffit pour qu’un être humain soit sauvé. Un mot, un simple geste et, vous ne savez pas pourquoi, vous êtes à deux doigts de pleurer, de plonger dans ses pages et d’aller étreindre les personnages vous-même. Pourtant, une lecture attentive vous fournira peu d’indices sur la manière qu’emploie l’auteur pour vous faire partager tous les sentiments de ses protagonistes. L’écriture semble plate, peu descriptive, se refuse au spectaculaire, ne s’embarrasse que très rarement d’images poétiques ou d’excès de psychologie. Un mot lui suffit pour tailler dans le vif, un simple geste de la main et c’est un monde qui bascule.
Ce n’est pas pour rien que cet écrivain est aussi (et d’abord) un auteur-compositeur de chansons folk. Il tient de cette filiation (très américaine) un goût pour la simplicité et un refus de l’emphase qui le maintient à hauteur de ses personnages. L’héroïsme, le grand spectacle, le grand guignol, l’ironie et les excès en tous genres, il laisse ça aux écrivains qui en ont besoin pour faire vivre leur monde de papier.
En plus d’être un écrivain de grand talent, on le soupçonne en plus d’être vraiment un mec bien. D’un auteur qui traite ses personnages de la sorte, il ne peut en être autrement.

Signé : RongeMaille

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