20/10/2015

DEPRESSIONS de Herta Müller

Gallimard se décide à poursuivre son travail de réédition des œuvres de la lauréate du Nobel 2009, Herta Müller, dont on ne peut pas dire qu’elle fut la plus bankable des récents nobélisés. Dépressions date de 1984 et fut réédité plusieurs fois en Allemagne, certes, mais à chaque fois dans des versions plus ou moins allégées…
Car le livre est tout sauf léger, en effet. Et à le lire, à petites doses car très vite, on a envie de sortir en courant et de hurler un bon coup, on est à la fois ébloui et sidéré par la force d’étouffement de ces phrases ciselées au fil de la plume avec une absence de pitié pour ce qu’il décrit, et de commisération pour son lecteur. C’est un livre qui, en tout cas, n’a pas volé son titre.
Soit les souvenirs disparates d’une jeune fille qui a grandi au fin fond de l’Allemagne rurale d’après-guerre, dans la riante province du Banat roumain, zone germanophone qui sera alors rattachée à l’Allemagne de l’Est. Des paysages de gadoue, de forêts embrumées, de pluie qui ne s’arrête pas, des cours de ferme avec des bestioles crottés, et ses habitants aux idées bien arrêtées sur à peu près tout, sans nul horizon en ligne de mire. Parfois, dans la concision de ses phrases qui ne s’embarrassent guère de circonvolutions, on croit entendre la voix de cet autre grand ami de l’Humanité que fut Thomas Bernhard;
Ma mère est une femme couverte de la tête aux pieds.
Ma grand-mère est aveugle. Elle a une cataracte à un œil, un glaucome à l’autre.
Mon grand-père a une hernie scrotale.
Mon père a un autre enfant avec une autre femme. Je ne connais ni l’autre femme ni l’autre enfant. L’autre enfant est plus âgé que moi et pour cette raison les gens disent que je suis d’un autre homme.
A Noël mon père fait des cadeaux à l’autre enfant et dit à ma mère que l’autre enfant est d’un autre homme.
Et ainsi de suite, jusqu’à ce que désespoir s’ensuive, ou du moins une terrible envie de s’enfuir. La prose de Herta Müller est terrible, parce qu’elle s’inspire du quotidien le plus prosaïque, et ne s’arrête jamais dans son travail de précision descriptive jusqu’à atteindre, comme dans cet extrait, la beauté d’une forme poétique accomplie. Son écriture essore la misère et son lecteur en même temps.
Autant dire que si vous avez un livre à offrir à quelqu’un que vous n’aimez pas, je viens de vous le trouver. Si vous connaissez quelqu’un qui aime la très grande littérature, aussi.

Signé : RongeMaille

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