13/02/2017

CE QUE NOUS AVONS PERDU DANS LE FEU de Mariana Enriquez

Mariana Enriquez est probablement une sorcière. Voir comment elle aspire, elle et ses semblables, à l'atrocité du bûcher dans la nouvelle éponyme qui clôt ce recueil, aura achevé de nous conforter dans cette impression trouble que cette écrivain au talent unique est de celles qui, au Moyen-Age ou de nos jours dans d'autres pays, auraient péri dans les flammes. 

Comment parler de ces 12 nouvelles sans effrayer celles et ceux qu'une certaine violence (et une cruauté certaine) rebutent ? Leur dire qu'ils ont ici à faire avec un écriture de premier plan, porté par un imaginaire sans frein, qui fait de cette jeune femme l'égale de Laura Kasischke ou de Yoko Ogawa, elles-mêmes virtuoses des petites histoires banales qui lentement glissent vers autre chose.

Elles-mêmes fines lames dans l'art de disséquer l'âme féminine derrière toutes ses apparences...

Plus portée vers un fantastique pur et dur que ces deux contemporaines, Mariana Enriquez s'autorise même des sorties vers l'horreur littérale (l'horrible Patio du voisin et son mystérieux gamin enchaîné sur la terrasse, cauchemar qu'un John Carpenter aurait pu imaginer), faisant surgir l'étrangeté, l'atroce et le bizarre d'un ordinateur, d'une rivière noire, d'une maison vide ou d'un crâne humain trouvé par terre.

L'art de Mariana Enriquez ne consiste pas seulement en l'exploitation des peurs féminines les plus latentes ou évidentes, il trouve aussi un écho dans l'histoire et le climat social de son pays, l'Argentine, terre de machisme (voir comment les hommes traitent leurs femmes dans Ce que nous avons perdu dans le feu), terre d'inégalités sociales et de misère (le bidonville de L'enfant sale), pays où survit encore la permissivité à l'égard de policiers assassins, héritage direct d'un passé de dictature militaire (Sous l'eau noire).
Peur du noir, de l'inconnu, du voisin d'à côté, de la police, de la pauvreté, du viol, de la folie, de la vie à deux, de la maternité, de vieillir, de prendre du poids, un chapelet de phobies que l'auteur exploite de front, ou de manière métaphorique, imprimant à chaque fois ce doute dans l'esprit du lecteur: la folie est-elle la cause de tout cela, ou est-elle l'ultime refuge où l'esprit humain se blottit en désespoir de cause ?

En lisant ces nouvelles, dont on ressort à chaque fois comme de buissons de ronces, on aura retrouvé les saveurs, - et douleurs, d'heures de lecture passées en compagnie de Lovecraft, Dean Koontz, Bioy Casarès ou  Brian Evenson. A ceci près qu'à bien la comparer aux terribles potions de ces affreux et fabuleux sorciers, le brouet d'une véritable sorcière garde quand même des saveurs féminines très particulières.

Goûtez-y, ça pique pas mal, les âmes sensibles pourront parfois s'abstenir mais ils auront tort.

Signé: RongeMaille  


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