Ce que nous savons de Rodolfo Fogwill
(1941-2010) tient en une mince notule chipée sur Wikipedia et qui
nous apprendra que cet écrivain argentin, célébré chez lui comme
un des plus grands, fut sociologue de formation avant de se lancer
dans une carrière littéraire « sur un malentendu »
prétendait-il. Sous terre date de 1983, c'est un livre-culte là-bas
et pour cause, il est le livre le plus frappant jamais écrit sur ce
conflit lapidaire mais terrible que fut la guerre des Malouines.
L'histoire aura retenu que l'armée argentine se sera prise à
l'occasion une déculottée mémorable et qu'elle fit plus de 900
morts dont deux bons tiers dans leurs propres rangs. Mais
qui aura dit la violence de ce conflit, après la victoire des
Britanniques, les grands discours et l'arrogance et la cruauté des
vainqueurs ?
Sous terre se déroule lors des
derniers jours du conflit, alors que la partie semblait pliée (et de
loin). On y suit la (sur-)vie d'un groupe de soldats qui se sont
tapis dans les entrailles de l'île, dans des grottes glaciales et
humides . Déserteurs, sous-officiers en ruptures de ban, troufions
rendus mabouls par le vacarme des bombes qui s'abattent au-dessus de
leurs têtes sans répit depuis des semaines et des semaines (le
conflit, rappelons-le, aura duré deux mois et demie). Ils se sont
donnés des surnoms, (le Turc, les Rois-Mages, l'Ingénieur...),
passent leur temps se raconter des histoires et en inventer de
belles sur ces salauds d'anglais : ils baiseraient leurs
prisonniers à la chaîne, les balanceraient vivants d'avions en
plein vol. Ils s'appellent eux-mêmes les tatous, ces animaux peureux
qui s'enfoncent dans la glaise pour ne plus laisser voir que leurs
carapaces, et qu'on attrape par la queue avant de les bouffer. Le
tatou a la même politique que l'autruche, a ceci prêt qu'en plus de
ne vouloir rien voir, il prie de toute son âme pour disparaître
complètement.
Scènes de guerre, folies des
officiers, incompétence des gradés, désastre humain, trouille
bleue, humiliations, perversion des uns et lâcheté des autres. Qui
parle aujourd'hui de guerre moderne (puisqu'il paraîtrait que
celle-ci en fut une) pourra toujours se plonger dans ses pages et en
remonter avec cette certitude que la chienlit militaire est la même
depuis les vieilles ganaches incompétentes de la Grande Guerre, et
le sadisme technologique des puissantes armées aussi aveugle que
celui d'anciennes troupes d'occupation.
On reste saisi par l'écriture de
Fogwill (Enrique Vila-Matas place ce roman très haut dans son
panthéon personnel), comme embourbée elle aussi dans la boue,
saisie par le froid, ne sachant trop s'il faut rire ou pleurer de
cette guerre menée sur une île au climat hostile, et peuplée de
moutons, d'otaries et de pingouins. La tragédie d'une guerre
ridicule qui rappelle les farces antimilitaristes acides d'auteurs
italiens de l'après-guerre, provoquant un genre de rictus
sarcastique qui, très vite, s'efface dans un ultime et horrible
gargouillis.
Signé: RongeMaille
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