08/12/2015

LE DICTIONNAIRE KHAZAR – Roman-lexique en 100 000 mots de Milorad Pavic

De mémoire de lecteur, on n’a jamais lu ça. Le dictionnaire khazar de Milorad Pavic est un de ces olni non identifiables que Belfond publia dans les années 80 avant de disparaître des radars, ce qui demeure un scandale. Grâce en soit rendu aux jeunes et frétillantes éditions Le Nouvel Attila car, pour le coup, cette œuvre invraisemblable écrase pour de bon toute concurrence en ces fêtes de noël.

Les Khazars, quoi qu’est-ce ?… Une civilisation sans doute éteinte durant le VIII° siècle qui fut ensevelie dans l’oubli par l’émergence des trois grandes religions monothéistes d’abord (la conversion du kaghan khazar à l’une d’elle, le judaïsme, lors de la fameuse polémique khazar, est au cœur du livre) et par les mouvements migratoires qui agitèrent le monde entre les Balkans et l’ Orient.
Milorad Pavic était un éminent professeur de lettres classiques et un véritable érudit qui savait aussi, de toute évidence, utiliser son savoir encyclopédique à des fins poétiques et burlesques. Ici, il vous est raconté comment des hordes de scribes ont récité durant des années à des perroquets jusqu’à ce qu’ils sachent jusqu’au bout des ailes l’intégralité du dictionnaire khazar. Comment le kaghan jura de se convertir à une des trois religions après avoir entendu l’interprétation d’un de ces rêves par un représentant chrétien, puis musulman, puis juif. Comment tel cavalier montait un étalon si élancé que le bruit de son galop s’espaçait de plus en plus (tendons l’oreille car on l’entend toujours aujourd’hui : une fois par jour).
Ce dictionnaire est à l’image du vase khazar, bête objet dans lequel vous pouvez jeter tout ce que vous voulez et entendre quelque chose y faire plouf quelques minutes plus tard. Y passer tout votre bras même si ça n’est pas possible. C’est un livre sans fond, sans fin. Vous pouvez y passer votre vie. C’est les Mille et une nuits trouvées à Saragosse, le Livre des Livres réécrit par Borgès.
Bon sang, mais quel livre !

Signé : RongeMaille

20/10/2015

DEPRESSIONS de Herta Müller

Gallimard se décide à poursuivre son travail de réédition des œuvres de la lauréate du Nobel 2009, Herta Müller, dont on ne peut pas dire qu’elle fut la plus bankable des récents nobélisés. Dépressions date de 1984 et fut réédité plusieurs fois en Allemagne, certes, mais à chaque fois dans des versions plus ou moins allégées…
Car le livre est tout sauf léger, en effet. Et à le lire, à petites doses car très vite, on a envie de sortir en courant et de hurler un bon coup, on est à la fois ébloui et sidéré par la force d’étouffement de ces phrases ciselées au fil de la plume avec une absence de pitié pour ce qu’il décrit, et de commisération pour son lecteur. C’est un livre qui, en tout cas, n’a pas volé son titre.
Soit les souvenirs disparates d’une jeune fille qui a grandi au fin fond de l’Allemagne rurale d’après-guerre, dans la riante province du Banat roumain, zone germanophone qui sera alors rattachée à l’Allemagne de l’Est. Des paysages de gadoue, de forêts embrumées, de pluie qui ne s’arrête pas, des cours de ferme avec des bestioles crottés, et ses habitants aux idées bien arrêtées sur à peu près tout, sans nul horizon en ligne de mire. Parfois, dans la concision de ses phrases qui ne s’embarrassent guère de circonvolutions, on croit entendre la voix de cet autre grand ami de l’Humanité que fut Thomas Bernhard;
Ma mère est une femme couverte de la tête aux pieds.
Ma grand-mère est aveugle. Elle a une cataracte à un œil, un glaucome à l’autre.
Mon grand-père a une hernie scrotale.
Mon père a un autre enfant avec une autre femme. Je ne connais ni l’autre femme ni l’autre enfant. L’autre enfant est plus âgé que moi et pour cette raison les gens disent que je suis d’un autre homme.
A Noël mon père fait des cadeaux à l’autre enfant et dit à ma mère que l’autre enfant est d’un autre homme.
Et ainsi de suite, jusqu’à ce que désespoir s’ensuive, ou du moins une terrible envie de s’enfuir. La prose de Herta Müller est terrible, parce qu’elle s’inspire du quotidien le plus prosaïque, et ne s’arrête jamais dans son travail de précision descriptive jusqu’à atteindre, comme dans cet extrait, la beauté d’une forme poétique accomplie. Son écriture essore la misère et son lecteur en même temps.
Autant dire que si vous avez un livre à offrir à quelqu’un que vous n’aimez pas, je viens de vous le trouver. Si vous connaissez quelqu’un qui aime la très grande littérature, aussi.

Signé : RongeMaille

09/10/2015

ILS SAVENT TOUT DE VOUS de Iain Levison

Cinq ans que Iain Levison ne nous avait pas donné de ses nouvelles, cinq ans que nous étions orphelins de la veine crapuleuse de cet écrivain écossais, américain d’adoption, qui nous avait tellement fait rire avec ses Tribulations d’un précaire ou son déjà classique Un petit boulot.
Abandonnant pour une fois ses personnages de losers quatre étoiles dont il est un peu le porte-parole (et qui sont aussi pour lui comme des souffre-douleurs de papier), Levison ne s’écarte pourtant pas de ce qui le préoccupe habituellement dans ses livres, à savoir la main-mise du libéralisme à outrance et de l’individualisme forcené sur nos sociétés ultra-consuméristes et, partant de là, sur le comportement de chacun de nous. Cet auteur possède l’art et la manière de s’offrir une batterie de tests plus sadiques les uns que les autres sur ses personnages, via les situations les plus grotesques, et les plus quotidiennes.
Dans Ils savent tout de vous, il n’y a plus de chômeur longue durée prêt à tout pour s’en sortir, ni de brave type accusé à tort d’être un tueur d’enfant, ce genre de blague. Ici, Levison s’accapare les codes du thriller comme il s’en faisait à la pelle dans les années 70 et 80: services secrets ultra-secrets à la solde de l’Etat Américain, barbouzes sur-entraînés, big brother watching tout le monde, et… télépathes activement recherchés pour, officiellement, en finir par exemple avec les interrogatoires « musclés » de l’Armée Américaine en Afghanistan et ailleurs. Mmouai…
Soit l’officier Snowe, à ma gauche, petit flic plus qu’honnête qui se rend compte que quelque chose se passe dans sa tête: très vite il cherche à s’en servir pour quelques plans-drague foireux (ça, c’est le Levison qu’on connait bien), et s’aperçoit que c’est également de la balle pour coffrer sans problèmes des sales types qui ont des choses à lui cacher. Et  Denny à ma droite, qui en est à une phase d’accomplissement suprême de ce don de Dieu, et qui est déjà surveillé comme le lait sur le feu par les services secrets car il se trouve… en prison, et plus précisément dans le couloir de la mort. Denny s’évade, et ce qui va arriver va surprendre tout le monde.
Et nous voilà revenus au temps joyeux des thrillers paranoïaques à la Robert Ludlum, Robert Sheckley, Graham Masterton et consorts. Où l’on voit bien que ce n’est pas l’exercice de style qui intéresse Levison, même s’il fait ça très bien, mais le sous-texte politique. Quel cauchemar ce serait en effet, pour nos Etats manipulateurs et avides de contrôle, si l’humanité toute entière s’avisait de communiquer sans modem, sans clavier ni écran tactile, sans qu’on puisse nous espionner.
Et mieux encore: si d’un seul coup, nous savions tout d’eux ?

Signé : RongeMaille

02/10/2015

LES MAITRES DU PRINTEMPS d’Isabelle Stibbe

C’est une histoire dont on n’a pas vraiment envie de se souvenir, c’est un roman qui, au fond, n’apprendra rien à celles et ceux qui ont suivi les déboires des hauts fourneaux de Florange dans les colonnes du Canard Enchaîné ou du Monde Diplo. Mais  c’est un roman qui en parle avec force et rend toute sa grandeur à un monde que l’on oblige à s’éteindre. Isabelle Stibbe nous raconte cette sombre histoire, celle de la fin des hauts fourneaux du Nord, de la Lorraine et d’ailleurs, sacrifiés à l’aune du réalisme économique le plus macabre.
Il y a donc la ville d’Aublange, un racheteur indien multimilliardaire qui cherche on ne sait trop quoi et semble balader tout le monde, salariés, syndicats et politiques locaux, tous dans le même panier. Et ces trois voix qui se questionnent sur le sort que le destin leur réserve: un député ambitieux, parti de rien et qui s’y verrait bien, un syndicaliste charismatique et imprégné jusqu’aux os de culture ouvrière, ainsi qu’un artiste reconnu qui pourrait passer commande de quelques tonnes de métal pour une création colossale. La peur de mal faire et de renier ses principes pour l’un, la crainte que cette lutte n’aboutisse à rien pour l’autre, et l’ombre de la camarde pour le vieil artiste qui vient de se voir diagnostiquer un méchant cancer.
Les maîtres du printemps est bien plus un récit impressionniste qu’un pur roman. On connait la fin de toute façon, qui nous est d’ailleurs épargnée, et nous raconter une nouvelle fois le cours des événements n’intéresse pas l’auteur qui, par contre, sait à merveille se glisser dans la conscience inquiète de ces personnages, sans glisser vers la harangue politique, et dans les lamentations encore moins.
« Nos ennemis peuvent couper toutes les fleurs, mais ils ne seront jamais les maîtres du printemps ». Voilà ce qu’écrivait Pablo Neruda en des temps qu’on imagine critiques, voilà ce qui imprègne tout du long le beau texte d’Isabelle Stibbe: la conviction  que les hommes se sauvent d’eux-mêmes et de toutes les horreurs du dehors, qu’elles soient économiques ou autres, par la grandeur de ce qu’ils savent conserver au fond d’eux.

Signé : RongeMaille

26/09/2015

DES BRUITS DANS LA TETE de Drago Jancar

Drago Jancar a été révélé au grand public français grâce au succès de Cette nuit, je l’ai vue, paru en 2014 chez Phébus, et qui avait su agrandir le cercle de son lectorat habituel. Phébus en profite donc et insiste, en rééditant dans sa collection Libretto un autre de ses romans, précédemment paru aux défuntes éditions du Passage du Nord-Ouest. De quoi briser la réputation d’auteur « difficile » de l’écrivain slovène qui, même s’il s’agit là d’un livre autrement plus rugueux, s’avère plus que jamais comme un narrateur extraordinaire.

Nous sommes donc à l’intérieur de la prison de Livada dans laquelle s’empilent prisonniers de droit commun, politiques, petites frappes, vrais tarés et gardiens sadiques adeptes du matraquage. Un jour de retransmission du match de basket USA-Yougoslavie, un maton commet l’ irréparable: il éteint la télévision en plein milieu. C’est le début d’une insurrection sauvage.

Rien que de bien banal, me direz-vous, si ce n’est que Des bruits dans la tête se déroule dans un contexte historique et politique bien particulier, celui de l’ex-Yougoslavie de Tito, faussement émancipée mais à la botte, tout de même, de son voisin soviétique. Il ne faut pas attendre longtemps avant de comprendre vers quoi le roman file, à savoir une métaphore impitoyable sur l’exercice du pouvoir dans un régime dictatorial. Car à l’intérieur de Livada encerclé par les forces de l’ordre, un autre régime s’impose, une autre terreur organisée cette fois par les mutins eux mêmes, une autre police. Le bibliothécaire devient dictateur, la barbier devient tortionnaire en chef, les lâches d’hier sont les kapos du présent, les véritables héros de l’insurrection redeviennent les hommes à abattre. Dehors, la police, les militaires et l’Etat attendent calmement de reprendre les choses en main.
Ce qui bouleverse le plus dans le roman de Jancar, ce ne sont pas les situations d’horreur et de démence meurtrière qui finissent par contaminer et rendre irrespirables chacune de ses pages mais comment son héros, Keber, parvient à s’ »échapper » de cette prison et de lui-même. Les yeux ouverts, sous les coups, il s’imagine en chef des juifs qui prirent la cité de Massada et tinrent tête aux Romains il y a presque 2000 ans.
Surtout, c’est lui qui porte cette revendication aux forces de l’ordre qui s’avère être la plus importante, la plus glorieuse de toutes, la seule qui tienne vraiment. Il ne réclame pas, comme les autres, des permissions plus longues, la visite de femmes, une meilleure nourriture, voire une complète amnistie: Keber veut juste que les équipes « rejouent le match ». Il n’a pas vu la fin, et il pressent que cela reste le signe le plus tragique de son retrait des vivants.
Drago Jancar a connu la prison lui aussi. Mais ce qu’il a connu par-dessus tout, et demeure le grand sujet de tous ses livres, c’est comment le régime communiste a coupé l’image et le son à des millions de personnes, des décennies durant.

Signé : RongeMaille

22/09/2015

L’été indien (air connu)

Durant le mois d’août, Mère Grand m’a tanné pour présenter un certain nombre de titres, d’œuvres, qui me semblent non pas incontournables, il ne faut pas exagérer, mais qui ont musclés le brillant athlète culturel que je suis aujourd’hui. Fort de cette périlleuse mission, je me suis attelé à cette tâche sans le précieux soutien de Mme Peel alors en vacances bien méritées.
L’été est maintenant passé, les congés trèèès loin, la rentrée bien entamée et les cohortes de nouveautés se bousculent à qui mieux mieux pour avoir la première place. Mère Grand m’a rappelé le rôle d’une sélection, qui bien que vitale se veut éphémère, que je dois méditer sur le non-attachement et l’impermanence… Certes cette installation amène un petit rayon de soleil, une éclaircie dans le quotidien d’un libraire et, nous sommes d’accord, il est difficile de s’épanouir à l’ombre d’un Largo Winch ou d’un Blake et Mortimer.
Donc, elle n’a qu’un temps !
Alors, l’envie impérieuse me vient de prolonger les vacances et de vous soumettre, petits veinards, les quelques titres que vous avez peut-être loupés :
Torpédo de Bernet et Abuli.
Torpédo est un tueur à gages durant les années de la prohibition. Sicilien, froid, sans cœur, affublé d’un second particulièrement crétin et maladroit, il traverse ses mésaventures avec un cynisme et un machisme consommé. Cette BD est parsemée d’humour, d’action, de rebondissements hilarants, de situations grotesques. Si vous aimez les Sopranos, Scorcese, et les histoires rocambolesques de gangsters : foncez !!!
Cartographie des nuages de David Mitchell
Roman singulier qui se rapproche plus du recueil de nouvelles, nous pouvons lui reprocher sa construction au premier abord un peu artificielle. En effet, Cartographie des nuages est un récit enchâssé à plusieurs voix, ses intrigues dramatiques ou cocasses parcourent plusieurs époques jusque dans un lointain futur et se répondent tour à tour, comme un long écho.
Hum, dis comme ça, vous demandez à juste raison ce que je consomme et je peux vous assurer que c’est de la bonne. Je parle de littérature, bien sur.
Car ce que je retiens de Mr Mitchell, c’est son style impeccable. Chaque période, narrateur et donc récit ou « nouvelle » a sa voix. Nous passons de l’un à l’autre avec l’étonnante impression de lire une anthologie tant l’écriture et le style est différent tout au long de sa lecture.
Petit bonus : nous retrouvons l’un des personnages de ce roman dans Le fond des forêts, paru deux ans plus tard, toujours chez l’Olivier.
 L’orme du Caucase de Jiro Taniguchi
Jiro Taniguchi… mangaka au style quasi photographique, il nous ballade entre ses récits de montagne, ses promenades zen, ses souvenirs d’une chiantitude accomplie, ses aventures animalières et quelques ovnis. Il est l’Auteur de manga par lequel les béotiens peuvent découvrir et se forger un avis moins stéréotypé et négatif sur la « culture graphique nippone ». Ouhou, comme c’est joliment dit, il va falloir que je la ressorte celle-là^^.
Bon, c’est pas tout ça, mais là c’est l’Orme du Caucase qui nous intéresse…
C’est un recueil de 8 histoires courtes de Ryuichiro Utsumi, histoires de vies, de rencontres, parfois mélancoliques mais toujours émouvantes.
Autant le Journal de mon père ou Quartier lointain sont, avec le même thème, « réservé » à un public adulte, autant l’Orme a, selon moi, une portée, une poésie et des messages plus universels et transgénérationnels.
S’il n’y en avait qu’un à lire (ce qui serait bien triste), ce serait celui-ci.
L’Amateur d’anecdotes de Raymond Castans
Vous l’avez peut-être pressenti… j’aime les histoires. Je kiffe la Grande, mais ce que j’aime par dessus tout ce sont les petites. Elles illustrent si bien l’esprit, le caractère, la majesté ou la mesquinerie des hommes et des femmes qui ont fait la grande histoire. Les anecdotes sont l’illustration même de la nature humaine avec l’humour en plus. Bons mots, réparties, situations embarrassantes, événements majeurs observés par le trou de la lorgnette, avec dans le casting Voltaire, Guitry, Talleyrand, Nicolas le deuxième, Sarah Bernhardt… à consommer sans modération.
Petit avertissement : cette série est inachevée, si vous commencez à l’apprécier comme moi, vous risquez d’être un petit peu déçu… vous voilà prévenu.
Je disais donc, si vous aimez les pulps, les pin-up, les cadillacs, les dinosaures, la sf, les histoires courtes, les mecs les vrais, les savants fous, les expériences ratées, l’apocalypse et les dinosaures (comment ça je l’ai déjà dit ?) : foncez !!!
Il n’y a pas que les pin-up, les cadillacs et les dinosaures dans la vie…Je serais même tenté de dire qu’il n’y a pas que notre nombril, et même il n’y a pas que notre petit pré carré à nous tout seul, que l’on doit protégé à tout prix et ne pas partager du tout du tout. Surtout avec tout ce qui se passe dans cette triste époque que nous vivons ma pauvre petite madame oulala !!!
Trois possibilités :
1/ Vous connaissez, vous êtes convaincu et il vous faut des arguments chocs pour convaincre, sinon illustrer votre propos.
2/ Vous ne connaissez pas, mais ça vous titille, je ne peux que vous encourager, le décollage de pois chiche n’est pas loin.
3/ Vous avez une armoire à caler… vu l’épaisseur du bouquin, je vous encourage plutôt à changer d’armoire et lire Mathieu Ricard. Deux changements (de vie et d’armoire) pour le prix d’un poche comme celui-ci, c’est pas tous les jours que ça va vous arriver.
Ne me remerciez pas !!!
Dans les veines ce fleuve d’argent de Dario Francheschini
Primo Bottardi se réveille un jour avec, en tête, la réponse à une question que lui avait posé un ami d’enfance, quarante ans plus tôt. Il décide donc de partir et de retrouver cet ami.
A travers son périple, Primo nous raconte son enfance, son pays, et le fleuve qui façonne les gens, leurs rêves comme leurs vies.
Nous voilà donc partis le long des berges du Pô, en sa compagnie, pour un voyage poétique, empli de brumes, perdus entre réalisme un peu étrange et onirisme.
Mygale de Thierry Jonquet
Depuis tout petit, j’ai peur des araignées. Venimeux, ça galope, ça nous attends sous les couvertures, ça aime les coins sombres et poussiéreux, et quand j’entends Mygale, ça me remonte la colonne vertébrale. Pour deux raisons :
1/ La grosse bestiole poilue avec trop de pattes et de yeux que j’ai trouvée dans mes rangers au petit matin lors d’un baroud (mon premier et dernier) avec la légion en Guyane Française*.
2/ Thierry Jonquet.
Mygale n’est pas un « frileur » animalier, amis arachnophobes, restez encore un peu. Ce court roman fait suivre trois personnages, trois intrigues qui finissent par se rejoindre :
un jeune homme en moto se fait percuter par un chauffard, et se fait capturer par le conducteur, est ce un serial killer ? ; un malfrat fait un casse qui se passe mal, il descend un flic et est blessé, la cavale commence ; et une jeune femme est séquestrée, humiliée et prostituée par un imminent médecin…
Brrr, j’ai cette saleté de bestiole qui me parcourt l’échine….
Pinocchio de Winschluss
Pour cette adaptation pour adulte et décalée du conte de Collodi, Winshluss a reçu le mérité Fauve d’Or 2009 du festival d’Angoulème.
Que dire sinon que nous retrouvons la plupart des personnages du conte comme Gepetto en savant cupide ou Jiminy en cafard ; mais aussi d’autres célébrités tels que les sept nains en nabots lubriques issus d’autres histoires pour la jeunesse.
Winshluss utilise avec brio l’imagerie Walt Disney, nous sert sa version hardcore et trucide les valeurs morales sirupeuses et gnangnan à la tronçonneuse. Seul notre petit pantin traverse les épreuves et les mésaventures sans s’émouvoir, sans juger du bien ou du mal qui l’entoure, blindé, téflonné, en naïveté trempée.
Aucun, je dis bien aucun des autres personnages n’est à sauver : pervers, tordus, cupides, malsains, suicidaires, manipulateurs, cette BD est un minutieux passage à la loupe sur la face sombre de l’humanité.
La balade de Lobo de A.Grant & S.Bisley
Cette réédition des aventures de l’Homme regroupe les deux aventures imaginées par Alan Grant et Simon Bisley : Le dernier Czarnien et Lobo frappe encore.
Décidément, les éditions et les rééditions de comics en France sont un grand n’importe quoi puisque pour des raisons qui m’échappent Le noël de Lobo n’est pas au sommaire du recueil ; 
mais bon je ne vais pas bouder mon plaisir à retrouver dans la langue de Gotlib les aventures du chasseur de primes.
Violence gratuite à tous les étages, personnages plus cons les uns que les autres, humour à 2 € (comme quoi tout augmente), même le bon Dieu se bidonne !!!
Qu’est ce qu’il nous manque ???
Le Noël de Lobo peut-être ^^

Polina de Bastien Vives
Pour finir sur une note plus douce et introspective, je vous propose de découvrir Polina de Bastien Vives.
Cette BD raconte le parcours d’une danseuse, de ses débuts, encore enfant à son entrée au Bolchoï sous le regard sévère de son professeur, à l’âge adulte en artiste reconnue.
Par petites touches, Bastien Vives construit ce personnage et le fait évoluer, grandir, aimer. Sa plus grande prouesse, pour moi, est de nous faire sentir l’influence de ce professeur, de ce maître, à travers les silences et les non-dits de Polina qui réussit au final à transcender l’exigence et la dureté de son mentor au service de son art et de sa carrière.
Signé : Mr S

Notes : * L’auteur est un gros mytho !!!

21/09/2015

EN TOUTE FRANCHISE de Richard Ford

Il nous avait laissé tout bête, tout penaud, ce bon Richard Ford, après deux romans d’excellente facture certes, mais bien en deçà de ce que l’on pouvait espérer d’un écrivain de sa trempe. Le retour aux affaires de son personnage fêtiche et alter-ego de papier, Frank Bascombe, augurait plutôt mal d’un retour en forme de l’auteur d’Un week-end dans le Michigan, comme un aveu de laisser-aller et de retour pépère à la normale, à cet éternel train-train de l’écrivain bien installé.
Tout ça pour s’apercevoir que le train-train, le prosaïque, le banal, c’est justement sa grande affaire, à Richard Ford, l’espace qui lui est imparti pour aller jusqu’au fond des choses, et laisser libre court à la verve toute en nuance de son écriture à la fois empathique, ironique, et terriblement désabusée.
Bascombe est à la retraite à présent, il ne s’ennuie pas trop mais les souvenirs se chargent d’affluer vers lui tel un ressac sans fin, lui ramenant dans les pieds quelques éléments de sa vie difficiles à oublier, ou auxquels il avait cru ne plus jamais avoir affaire. C’est cet ancien client qui l’informe que la maison qu’il lui avait vendue, jadis, a été détruite par la méchante tempête qui vient de ravager la côte Est. C’est cette vieille femme qui demande à visiter sa maison qu’elle habitait bien avant lui, et qu’elle avait quitté à l’âge de 17 ans dans des circonstances dramatiques. C’est ce vieil « ami » à quelques jours du trépas, qui le presse de venir le voir dans son lit médicalisé. Et puis son ex-femme, qui sombre peu à peu dans les limbes d’Alzheimer, et avec qui il n’a pas fini de solder une foule de ressentiments et de rancoeurs.
En toute franchise est plus une suite de rencontres fortuites qu’un recueil de nouvelles. Frank Bascombe s’y promène comme dans un champ d’épaves, qu’il observe d’un peu haut, mais pas trop, s’insinuant lui-même au milieu des décombres comme faisant partie du décor.
Richard Ford fut le meilleur ami de Raymond Carver, il faut savoir s’en souvenir en lisant les 230 pages de son bouquin, ciselé et lapidaire comme seuls certains Américains savent en faire. Autant dire que ce Richard Ford-là est immanquable.



Signé : RongeMaille